CEI La Géorgie, l’Ukraine et le Kirghizstan ont basculé dans le camp des démocraties en l’espace d’un an et demi
Laure Mandeville
[Le Figaro, 29 mars 2005]
En un an et demi, trois «dominos» post-soviétiques sont déjà tombés. A qui le tour ? Depuis que des révolutions populaires portées par une revendication démocratique ont renversé les régimes autoritaires du Géorgien Chevardnadzé, de l’Ukrainien Koutchma et du Kirghize Akaïev, tous les despotes d’ex-URSS se sont mis à trembler, hantés par la peur de la contagion.
De Minsk à Bakou, en passant par Erevan, Tachkent ou même Moscou, la plupart des pays d’ex-URSS font aujourd’hui figure de «candidats» potentiels à la contestation. La corruption galopante, la confiscation de tous les pouvoirs au profit d’une caste oligarchique issue de la Nomenklatura de l’ancien PC ou des services secrets ont creusé un fossé profond entre les peuples et les Princes.
«Dures» ou «molles», selon les latitudes, les traditions politiques et le tempérament des dirigeants, ces dictatures autoritaires sont toutes travaillées par des germes de mécontentement, qui pourraient éclore à l’occasion du calendrier électoral.
Selon un modus operandi en trois temps – élection, falsification, révolution –, les mouvements de velours ont en effet tous surfé sur les fraudes électorales massives des récents scrutins.
A chaque fois, les étudiants et les ONG locales, encadrés par des ONG américaines présentes depuis plusieurs années dans la région, ont été le fer de lance de la révolte. Il est vrai aussi que les régimes géorgien, ukrainien et kirghize avaient tous pour spécificité de ne pas être des dictatures pures et dures. Des espaces de liberté importants y avaient été maintenus, notamment dans la presse. Certains experts en déduisent que les pays les plus susceptibles de «bouger» sont justement ceux qui, comme l’Azerbaïdjan, l’Arménie ou le Kazakhstan, laissent s’exprimer un certain pluralisme d’opinions.
Mais d’autres parient plutôt sur les phénomènes de contagion par proximité. Ainsi la Biélorussie du dictateur Alexandre Loukachenko serait-elle menacée par l’exportation du modèle orange ukrainien et les dictatures musclées d’Asie centrale par la contagion kirghize...
* L’Azerbaïdjan
Avec une élection législative prévue pour novembre 2005, la situation de ce petit pays caucasien – où le clan Aliev s’est maintenu au pouvoir lors d’une élection vécue par beaucoup comme une passation de pouvoir entre le père mourant Gueïdar et le fils Ilham – est précaire. En octobre 2003, jour de l’annonce des résultats, des troubles durement réprimés avaient éclaté à Bakou.
Depuis, l’opposition divisée tente de s’unir sous la houlette du chef du Front populaire d’Azerbaïdjan, Ali Kirimli, qui, dopé par la révolution ukrainienne, vient de faire le tour des capitales occidentales.
Pour assurer sa pérennité, le clan Aliev continue de se présenter, en Occident, comme le garant de la stabilité des investissements des majors pétrolières en mer Caspienne.
* L’Arménie
Grand adversaire de l’Azerbaïdjan, avec lequel il s’affronte sur le conflit «gelé» du Karabakh, le pouvoir arménien est fragilisé par son incapacité à résoudre cette épineuse question. Son président Robert Kotcharian, faucon originaire du Karabakh, n’a pas hésité à recourir à l’arme de la falsification massive des scrutins. L’opposition est faible, mais l’échec politique de Kotcharian sur le Karabakh et l’effondrement économique entretiennent le mécontentement. L’émigration est massive. Des voix s’élèvent pour remettre en cause l’alliance étroite nouée avec Moscou, au profit d’une réorientation de l’Arménie vers l’Occident. L’exemple géorgien, pays ami, suscite des débats acharnés.
* Le Kazakhstan
L’évolution politique du Kazakhstan depuis 1991 ressemble fort à celle du Kirghizstan. En 1991, le président Noursoultan Nazarbaïev est perçu comme l’un des dirigeants les plus modernistes d’ex-URSS. Mais il va progressivement dériver vers une gestion autoritaire, modifiant la Constitution pour rester au pouvoir. Signe du népotisme répandu dans ces contrées, il a systématiquement favorisé ses proches, plaçant sa propre fille à la tête d’un nouveau parti... d’opposition. Les autorités kazakhes, qui suivent de près la révolution kirghize, n’en affirment pas moins «ne pas craindre la contagion», en raison du niveau de vie nettement plus élevé des citoyens kazakhs. Pays très riche en hydrocarbures, le Kazakhstan est appelé à devenir l’un des principaux pays producteurs de pétrole du monde.
* L’Ouzbékistan
C’est l’une des dictatures les plus dures de la région centre-asiatique. Dirigé d’une main de fer par Islam Karimov depuis l’indépendance en 1991, l’Ouzbékistan a éliminé tous les partis d’opposition démocratique de l’époque gorbatchévienne. Aucun mouvement d’opposition n’a pu participer aux élections parlementaires de décembre, sévèrement critiquées par l’OSCE. Le régime de Karimov est accusé de pratiquer la torture et de maintenir dans ses geôles près de 6 000 prisonniers politiques. Les ONG sont constamment harcelées.
C’est au nom de l’islamisme que le régime de Karimov justifie sa dureté. Miné de l’intérieur, fragilisé par la multiplication des attentats, il cherche soutien auprès de la Russie et des Etats-Unis. Les portes du pays ont été ouvertes aux Américains, installés depuis 2001 sur une base aérienne. Une alliance à double tranchant...
* Le Turkménistan
Régime ultradur, entièrement dédié au culte de la personnalité de son chef, Saparmourat Niazov, le Turkménistan a totalement verrouillé la scène politique et médiatique locale. Le système est si peu transparent qu’il est difficile de se faire une idée de l’impact qu’a pu y avoir la révolution kirghize.
* Le Tadjikistan
Avec 64% de la population en deçà du seuil de pauvreté, un chiffre comparable au chiffre kirghize, la situation économique du Tadjikistan est explosive. Mais, à son actif, son patron Emomali Rakhmonov a su jouer la carte d’un partage partiel du pouvoir avec l’opposition islamiste. Véritable antidote contre les soulèvements populaires, le souvenir de l’effroyable guerre civile, qui aurait fait près de 500 000 morts en 1992, rend une révolte populaire peu probable.
* La Biélorussie
Bordée à l’ouest par la Pologne, au sud par l’Ukraine et au nord par les pays baltes, la Biélorussie du dictateur Alexandre Loukachenko se trouve indéniablement dans un environnement «propice». Mais à quelle échéance ? La manière musclée dont le pouvoir a imposé en octobre un référendum permettant une modification de la Constitution donne une idée des difficultés d’une opposition divisée. Pourtant, les initiatives civiles inspirées de l’exemple ukrainien, se multiplient. Des manifestations étudiantes se tiennent à intervalles réguliers dans la capitale.
* La Russie
Alors que, il y a un an à peine, Poutine, tout juste réélu, paraissait au faîte de sa puissance, une série de revers semblent ébranler la cuirasse d’un pouvoir russe de plus en plus autoritaire.
C’est la «révolution orange», à Kiev, qui a tiré l’élite russe de sa torpeur. Défaits, marginalisés par le verrouillage opéré par Poutine, libéraux et «oligarques» fourbissent leurs armes, profitant du mouvement de contestation sociale auquel le maître du Kremlin doit faire face, pour contre-attaquer, notamment dans des scrutins locaux. Le maire de Moscou, Iouri Loujkov, jusqu’ici aux ordres du Kremlin, a carrément estimé devant les étudiants de l’Université de Moscou, qu’une «révolution» était possible en Russie. Mais de quelle couleur ? «Citron», à l’image de certains mouvements nationalistes radicaux qui surfent sur la frustration ? Ou «pomme», du nom du parti libéral Iabloko ? Personne ne se risque à prendre de pari.
29.3.05
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