9.3.05

Le complexe de Saint Thomas

L’actualité conflictuelle ne supporte plus, dans son rendu médiatique, que le choc des images de cadavres, étalés complaisamment à la une des journaux. La semaine dernière, le New York Times publiait quatre images prouvant le caractère génocidaire au Darfour. Hier, toutes les télévisions, ce matin le Kommersant de Moscou, affichaient la dépouille d’Aslan Maskhadov, comme pour exorciser le mal de cette guerre cachée, dont on n’ose dire le nom. Il serait aisé de poursuivre ces expositions macabres en une de nos médias. La mort n’a plus de pudeur. Ce n’est plus le massacre des Saints Innocents, qui avait été exposé dans un précédent numéro de l’Annuaire français de relations internationales suite aux attentats du 11 septembre 2001. C’est le complexe de Saint Thomas. Dans un environnement de plus en plus aseptisé, les médias se sentent obligés de montrer ce que les stigmates de la société, comme lors du tsunami. Ou alors ils se drapent dans leur hypocrisie pour éviter de montrer cette mort qui obsède.
L’impact des images morbide est double sur le plan des relations internationales. Il reflète d’abord l’état de déliquescence de ce monde occidental qui voue un culte sans borne au marché. Tout n’est que prix, achat et vente. Même la maladie de Jean-Paul II devient une aubaine pour ces nouveaux marchands du temple. La force de ces images s’annule lorsque le monde non-occidental les utilise par la pression morale que lui oppose l’Occident. On l’a bien vu avec les décapitations terroristes en Irak ; elles n’ont duré que le temps de la compréhension de l’innocuité de ce geste. Pensant blesser ces arrogants Occidentaux, ils ont du rapidement déchanté, en voyant la délectation que ces impies mettaient à apprécier ce geste. On se souvient de ce jeune Américain qui s’est amusé à mettre en scène sa propre (fausse) décapitation. On se souvient également des actions pendables des réservistes d’Abu Grahib. La supériorité médiatique de l’Occident, tant dans le processus de diffusion que dans les concepts de production, est telle que seule ses modèles peuvent attirer les regards.
L’autre résultat de la diffusion de telles images est d’attiser l’illusion de vie, si nécessaire au consumérisme ambiant. La mort n’est plus la négation de la vie, elle devient sa preuve. Dans une société sans morale, Saint Thomas a besoin de croire. Et de toucher infiniment ces stigmates que l’Homme porte…

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