7.6.05

Liban : l’épineux cas du Hezbollah

Monde

Le désarmement de ses milices, exigé par l’ONU, est à hauts risques pour le futur pouvoir.

Par Jean-Pierre PERRIN
mardi 07 juin 2005

Beyrouth envoyé spécial

A peine sortie des urnes, la nouvelle équipe dirigeante libanaise sera confrontée à un terrible casse-tête : le désarmement du Hezbollah. Celui-ci est exigé par la communauté internationale, la résolution 1559 du Conseil de sécurité et une large majorité de Libanais. Or, depuis plusieurs jours, cheikh Hassan Nasrallah, le charismatique leader du parti de Dieu, l’a catégoriquement rejeté : « La main, quelle qu’elle soit, qui voudrait se saisir de nos armes est une main israélienne qui devra être coupée. Si quelqu’un, n’importe qui, pense désarmer la Résistance islamique, nous le combattrons jusqu’à la mort. » « D’aucuns estiment que nous avons quelque 12 000 fusées de type Katioucha ou autres, je vous le dis, nous en avons plus de 12 000. Tout le nord de la Palestine occupée (Israël, ndlr) avec ses colonies de peuplement, ses aéroports, ses champs et ses fermes, est sous le feu de nos combattants », a-t-il également affirmé, le 25 mai, date du cinquième anniversaire du retrait des troupes israéliennes du Liban-Sud après vingt-deux ans d’occupation.
Pas question non plus pour le Hezbollah de rendre ne serait-ce que son armement lourd. Nasrallah a ainsi mentionné la visite d’un « ambassadeur occidental », dont il n’a cité ni le nom ni le pays, qui a proposé que sa formation garde ses armes individuelles et de moyenne portée mais remette les fusées à longue portée : « Cette proposition est un scandale. Elle prouve à l’évidence qu’ils ne veulent pas démanteler les milices et protéger le pays de combats fratricides, mais que leur unique but est de protéger Israël et de lever la terreur qui pèse sur l’Etat hébreu. »

Position radicale. Même si le Hezbollah a également réaffirmé sa disposition à discuter de son désarmement au niveau interne, une position aussi radicale n’est pas sans inquiéter les deux ténors du futur pouvoir libanais, le chef druze Walid Joumblatt et le sunnite Saad Hariri, fils du défunt Premier ministre assassiné. Ceux-ci sont en effet coincés entre leur crainte du parti islamiste et les pressions internationales à l’heure où ils ont besoin d’aide pour sortir le Liban d’une difficile situation économique — quelque 40 milliards de dettes extérieures.
S’ils ont le même but, les Etats-Unis et la France divergent cependant sur les méthodes. Pour l’administration américaine, il convient de désarmer le parti de Dieu par tous les moyens. Pour Paris, c’est une affaire intérieure libanaise, une question qui pourrait se régler par l’intégration de la formation islamiste dans la société libanaise. Les regards sont aussi tournés vers Israël, qui continue d’occuper une minuscule portion du territoire libanais, le secteur des « fermes de Chebaa », qui permet au Hezbollah de justifier l’existence de ses milices. Un retrait israélien n’étant pas exclu, ce parti a déjà fait évoluer sa position en expliquant que ses armes permettront de défendre le Liban en cas d’attaque israélienne.
Dans les bureaux du Hezbollah à Beyrouth, où Khomeiny et Ali Khamenei, son successeur à la tête du régime iranien, ont de grands portraits, Hussein Naboulsi, le responsable des relations publiques, se déclare « plus que prêt à se battre » contre ceux qui voudraient obliger son parti à désarmer. Il affirme ensuite que c’est Washington — et non Damas — qui a fait assassiner Rafic Hariri dans le cadre d’un complot visant à faire partir l’armée syrienne du Liban pour pouvoir ensuite isoler le Hezbollah. « De la Turquie à la Jordanie, tout le monde fait pression sur la Syrie pour qu’elle change de régime et coupe ainsi sa relation avec nous. Mais celui qui croit qu’on a peur de la résolution 1559 ne nous connaît pas. Plus nous sommes poussés dans un coin et plus nous sommes forts. On n’a jamais dévié de la ligne, toujours défensive, que nous avons tracée. »

« Affaire régionale ». En fait, la question du désarmement concerne autant Damas et Téhéran que Beyrouth. « C’est une affaire régionale par excellence, liée au dossier nucléaire iranien, à la situation en Syrie, en Irak et en Palestine. Ces armes font partie d’un front qui commence en Iran, passe par la Syrie et l’Irak et se termine en Palestine, où on ne peut exclure une reprise de l’Intifada, explique Joseph Smaha, un analyste du quotidien libanais As-Safir. Je ne vois donc pas le Hezbollah céder, d’autant que l’armée libanaise n’a pas la capacité à l’obliger. » Selon lui, « Joumblatt voit bien le danger grave que représente le Hezbollah pour le Liban mais aussi celui de lui lancer un ultimatum ». Joseph Bahout, un autre politologue, ajoute que le récent discours grandiloquent de cheikh Nasrallah « était un message adressé un peu hypocritement à Joumblatt et à Saad Hariri pour leur dire : votre victoire électorale ne vous donne pas des points pour nous désarmer ».
Position de faiblesse. Cependant, le Hezbollah apparaît en position de faiblesse depuis le retrait de son allié syrien. «Sinon il ne chercherait pas à se rapprocher du tandem Joumblatt-Hariri», ajoute un autre analyste libanais lié aux milieux du renseignement. « Il a aussi commis une grave erreur en organisant en mars une immense manifestation de soutien à Damas. Depuis, tous les sunnites, et derrière eux l’Arabie Saoudite, lui en veulent car il leur est apparu comme étant complice de l’assassinat de Rafic Hariri. Maintenant, ils minorent son rôle dans son combat contre Israël. Ils parlent de résistance chiite et non plus islamique », ajoute-t-il, n’excluant pas à l’avenir de graves tensions entre communautés chiite et sunnite. Créé en 1982 par les pasdaran (gardes de la Révolution) iraniens lors de l’invasion israélienne du Liban, le Hezbollah a développé depuis un puissant réseau d’entraide dans la communauté chiite, à laquelle il offre des services sociaux et des écoles. Aux élections de 2000, il avait obtenu 12 élus (sur 128) et a doublé la mise dimanche en raflant tous les sièges en lice (23) dans le sud (lire ci-contre), Joumblatt et Saad Hariri n’ayant pas voulu présenter de listes contre lui dans le Sud (majoritairement chiite) ni contre son allié, le mouvement clientéliste Amal, lui aussi chiite et prosyrien.

http://www.liberation.fr/page.php?Article=302079

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