LIBAN Le dernier soldat syrien a franchi hier la frontière après vingt-neuf ans de présence militaire au pays du Cèdre
Beyrouth : Sibylle Rizk
[Le Figaro, 27 avril 2005]
Il y a quelques semaines encore, personne n'osait y croire, pourtant, alors que le dernier soldat syrien franchissait hier la frontière, au poste de Masnaa, après vingt-neuf ans de présence militaire au pays du Cèdre, les Libanais se sont gardés de tout triomphalisme. Des manifestations d'allégresse ont bien eu lieu, des gâteaux et des fleurs ont été distribués, des moutons égorgés mais elles sont restées très localisées, autour des dernières positions évacuées à la hâte ces derniers jours, dans la plaine frontalière de la Bekaa.
En revanche aucun élan populaire massif n'a salué ce moment historique. Des familles de Libanais portés disparus en Syrie qui voulaient manifester devant le Parlement ont même été repoussées par l'armée, sous l'oeil des caméras. Le contraste est frappant avec les scènes de liesse qui ont suivi pendant plusieurs jours, il y a cinq ans, le retrait israélien du sud du Liban. Le seul fait de comparer les deux événements est sacrilège à Beyrouth, où Israël est encore l'ennemi, alors que la Syrie représente le voisin avec qui le Liban est condamné à entretenir de bonnes relations.
C'est le sens des hommages que le Liban officiel a paradoxalement multipliés hier. Une cérémonie d'adieux, organisée sur la base aérienne de Rayak, pas loin de la frontière, a été l'occasion d'échanger des médailles entre les deux armées, libanaise et syrienne, représentées par les deux chefs d'état-major. «Merci pour vos sacrifices», a lancé le commandant en chef libanais, Michel Sleiman, tandis que la première pierre était posée pour un monument à la mémoire de douze mille soldats syriens tués au Liban, pendant la guerre de 1975-1990.
Pourtant, il ne fait de doute pour personne que la Syrie se retire de bien mauvais gré. Entrée au Liban en 1976 pour porter secours aux milices chrétiennes, elle a manoeuvré tout au long du conflit pour s'imposer comme un acteur incontournable. Au point qu'à la faveur de la première guerre du Golfe, en 1991, la communauté internationale lui confie implicitement la mission d'y rétablir la paix civile. Ce «mandat» lui a été retiré après l'invasion américaine d'Irak. Aux pressions internationales matérialisées par la résolution 1 559 de l'ONU, adoptée en septembre dernier, s'est conjugué un véritable soulèvement populaire, déclenché par l'assassinat de Rafic Hariri le 14 février, exprimant toute l'aversion des Libanais pour l'asservissement politique auxquels ils étaient soumis.
Damas a notifié dès hier les Nations unies qu'elle avait achevé d'évacuer militairement le Liban, conformément à l'engagement pris le 5 mars par le président syrien Bachar el-Assad. La date du retrait coïncide avec celle prévue pour la publication d'un rapport du secrétaire général Kofi Annan sur l'application de la résolution 1 559. Une équipe d'experts onusiens doit encore constater sur le terrain la réalité du départ des militaires et des agents de renseignement syriens, mais d'ores et déjà, le président Jacques Chirac salue «un jour important» pour le Liban.
«Les Libanais évitent de remuer le couteau dans la plaie. Leur joie est intériorisée, le retrait était déjà considéré comme un fait acquis. Ils ont surtout conscience aujourd'hui des difficultés de la période à venir et de la capacité de nuisance que conserve Damas», commente un observateur de la scène politique. Le général Rustom Ghazalé a abandonné le siège des services de renseignement syriens au Liban qu'il dirigeait, à Anjar, dans le nord-est du pays. Mais un nouveau centre est déjà en cours de construction, à quelques mètres du poste de Masnaa, côté syrien certes, «mais à la portée du réseau de téléphonie mobile libanais», souligne un autre connaisseur du dossier syro-libanais.
Les déclarations d'amitié qu'ont multipliées hier les députés à l'adresse de Damas, lors du débat précédant le vote de confiance du nouveau gouvernement, sont destinées à tenir la Syrie à distance, alors que, pour la première fois depuis longtemps, le Liban a enfin la possibilité d'être maître de ses choix politiques. La démission lundi du puissant chef de la sûreté générale, Jamil el-Sayyed, pivot du système sécuritaire satellisé par Damas, est perçue à Beyrouth comme le symbole de cette nouvelle ère. Le général a lui-même justifié sa décision par «les changements importants dans la politique» du pays. Ces changements devraient se matérialiser lors des prochaines élections législatives, que le nouveau premier ministre a promis hier au parlement d'organiser dans les délais constitutionnels, c'est-à-dire avant le 31 mai.
27.4.05
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