27.4.05

Les manoeuvres de Poutine pour s'emparer du pétrole

Étranglé, le groupe avait accumulé une dette de 27 milliards de dollars vis-à-vis de l'État. Sa principale filiale a été bradée à la compagnie publique Rosneft

Moscou : Alexandre Cèdre
[Le Figaro, 27 avril 2005]

Dans l'ombre de l'affaire Youkos s'est jouée une partie de redistribution de cartes de l'or noir russe. L'incarcération de Mikhaïl Khodorkovski a permis d'affaiblir un oligarque célèbre que le Kremlin de Vladimir Poutine voyait déjà en potentiel concurrent politique. Mais les poursuites fiscales dirigées contre son groupe pétrolier, considéré il y a deux ans encore comme l'entreprise modèle de la Russie libérale, ont rempli un objectif sans doute plus important encore : la mise en place d'un nouveau pôle pétrolier contrôlé par l'État.
Deux mois après l'arrestation de Mikhaïl Khodorkovski, le parquet a en effet lancé en décembre 2003 des procédures parallèles contre Youkos, accusant le groupe d'avoir minimisé ses impôts en enregistrant des filiales dans des zones franches de Russie. Au fil des poursuites judiciaires, les arriérés n'ont cessé de croître. Le groupe s'est défendu et a expliqué que toutes les grandes compagnies pétrolières ont eu recours à cette technique financière, alors légale. Puis il a essayé de trouver un compromis et même de rembourser une partie de sa dette fiscale. Mais le gel de ses avoirs et l'interdiction de vendre ses actifs l'ont empêché de puiser dans ses réserves financières pour faire les versements au fisc. L'une des nombreuses contradictions de l'affaire.
La dette a fini par atteindre une somme colossale, quelque 27 milliards de dollars. Pour couvrir en partie ces arriérés, les services judiciaires, malgré des jugements initiaux contradictoires, ont ordonné la vente de Iouganskneftegaz, la principale filiale de Youkos qui, en Sibérie occidentale, pompait 60% de son pétrole, soit l'équivalent de la production de l'État du Texas.
Les médias pro-Kremlin ont présenté cette vente comme un «juste retour de balancier», dix ans après le rachat de Youkos par Mikhaïl Khodorkovski lors d'une privatisation arrangée d'avance. Mais les enchères qui, en décembre dernier, ont permis la nationalisation déguisée d'Iouganskneftegaz ont elles aussi été une parodie. Gazprom, le géant gazier en pleine stratégie de diversification dans le pétrole, voulait initialement acquérir la filiale. Une manoeuvre judiciaire de dernière minute de Youkos et des conflits d'intérêts autour du Kremlin ont toutefois déjoué son projet. C'est finalement Rosneft, la compagnie pétrolière publique en cours de fusion avec Gazprom, qui s'est retrouvé propriétaire de Iouganskneftegaz. Pour un prix discount : 9,5 milliards de dollars. Les analystes estimaient le prix réel à près du double de cette somme.
Cherchant comme souvent à satisfaire des publics opposés, Vladimir Poutine a jugé la vente tout à fait légale, mais il a aussi laissé Andrei Illarionov, son turbulent conseiller économique, qualifier ce rachat d'«escroquerie de l'année». Quant à Mikhaïl Khodorkovski, face à la lente désagrégation de Youkos, il a reconnu son impuissance depuis sa cage à barreaux où il s'apprête à être jugé aujourd'hui : «Tout le pays sait pourquoi j'ai été emprisonné. Pour que je ne gêne pas le dépeçage du groupe.»

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