10.5.05

En attendant le retrait, Gaza rêve d'attirer touristes et investisseurs

PROCHE-ORIENT Tandis qu'Ariel Sharon a reporté de trois semaines le démantèlement des colonies

Ariel Sharon a annoncé hier le report de trois semaines du retrait israélien de la bande de Gaza, initialement programmé à partir du 20 juillet, et ce, afin de tenir compte du calendrier religieux juif. Le premier ministre israélien a indiqué que le retrait aura lieu «aussitôt après le (deuil) de Tisha B'Av», à la mi-août.Le chef de la diplomatie israélienne, Sylvan Shalom, a pour sa part estimé que son pays devrait reconsidérer le retrait de la bande de Gaza si le Hamas remportait les élections législatives.

Gaza : de notre envoyé spécial Patrick Saint-Paul
[Le Figaro, 10 mai 2005]

Battue par les vents de sable et quatre ans et demi d'intifada, Khan Younès rêve de retrouver ses plages et la mer. Depuis le balcon de son bureau au «gouvernorat» de cette ville du sud de la bande de Gaza, Talaat Harab, un ingénieur chargé de la planification, possède une vue imprenable sur la Méditerranée. Mais comme les 180 000 habitants de Khan Younès, entassés dans dix kilomètres carrés, il est coupé de la mer par les dunes dorées et les serres géantes des colons juifs du Goush Khatif, qui doivent être évacués cet été.
Théoriquement, fin septembre, les 8 000 colons de la bande de Gaza, qui vivent au milieu d'un million trois cent mille Palestiniens dans des villes fortifiées occupant un tiers des terres, seront tous partis, de gré ou de force. Cela fait trente-six ans, depuis qu'Israël a conquis ce territoire aux mains de l'Egypte que les Palestiniens attendent le départ des colons. Lorsqu'on leur demande ce qui arrivera le jour où ils seront tous partis, la réponse est unanime. Il y aura une grande joie. Les femmes pousseront des youyous, une expression de bonheur rare à Gaza. Les drapeaux verts du Hamas flotteront partout. Tous iront voir comment vivaient les colons, par curiosité.
Et après ? Gaza fourmille de projets, pour son développement. «Ce n'est pas facile d'y croire, reconnaît Talaat Harab. On passe un peu pour un fou ici lorsqu'on fait des projets pour l'avenir. Après les accords d'Oslo et le départ des troupes israéliennes des villes palestiniennes de Gaza, on ne pensait jamais tomber si bas. Mais après quatre ans et demi d'intifada, je crois que nous avons touché le fond.» Les infrastructures sont en ruine. Plus de la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. A Khan Younès, les opérations militaires israéliennes ont transformé plus de 60% des terres agricoles en paysage lunaire, pour protéger les colonies. Des milliers de maisons ont été rasées, pour élargir la bande de sécurité. Pourtant, l'espoir n'a pas été détruit.
A quelques kilomètres de Khan Younès, au-delà des dunes et des postes militaires israéliens, s'étend un immense potentiel, dans la verdure et le long des plages du Goush Khatif. Le «gouvernorat» de Khan Younès doit récupérer ses neuf kilomètres de plages vierges, réputées les plus belles de la côte et qui attirent déjà la convoitise des investisseurs étrangers. «Les plages sont les plus propres de la côte, l'eau est pure et poissonneuse, assure Talaat Harab. Rien n'a été construit et nous allons pouvoir établir un plan de développement pour attirer les investisseurs.» L'industrie touristique pourrait créer 20 000 emplois, selon les calculs de l'Autorité palestinienne. Hôtels de luxe, restaurants, centres commerciaux, routes goudronnées... rien ne doit manquer pour attirer les touristes du golfe Persique et des pays occidentaux.
C'est le rêve le plus fou des habitants de Khan Younès, enfermés dans leur prison à ciel ouvert sous le feu de l'armée israélienne : partager leur bout de plage inaccessible avec des vacanciers français, espagnols, jordaniens ou saoudiens. Les Gaziotes, qui n'ont pas le droit de voyager depuis des années, voudraient que le monde vienne à eux. Mais Gaza, où hôtels et restaurants ont cessé de servir de l'alcool sous la pression des islamistes du Hamas et du Djihad islamique et où les femmes se baignent voilées, est-elle prête pour les hordes de touristes en bikini grands consommateurs de bières ? «Pourquoi pas ! s'étonne Talaat Harab. Les Gaziotes ont l'esprit ouvert. Le Hamas a joué sur les frustrations et la perte de l'espoir. L'intifada a provoqué un repli sur les traditions. Mais nos mentalités n'ont pas changé.»
Gaza compte reconstruire des logements, développer les télécommunications, créer des emplois dans des centres d'appels internationaux, relancer la pêche et l'agriculture. «Pour l'instant, les pêcheurs n'ont pas le droit de s'éloigner des côtes, ni de pêcher dans les eaux des colonies, explique Talaat Harab. Nos réserves aquifères sont quasiment épuisées : à Khan Younès, l'eau potable doit être livrée par camions. Les nappes phréatiques sont situées sous les colonies. Avec de l'eau tout sera vert ici. Nos agriculteurs pourront exporter.»
L'Autorité palestinienne a formé une commission d'experts chargée d'examiner les projets de développement de la bande de Gaza. Mais l'avenir dépend de la façon dont se déroulera le retrait. Si Israël ne donne pas son accord pour que la frontière avec l'Egypte ainsi que l'aéroport international de Gaza soient rouverts et pour la construction d'un port maritime, Gaza restera une prison misérable. Pour l'instant l'Autorité palestinienne n'a reçu aucune information sur l'état des infrastructures dont elle va hériter. Israël hésite à raser les maisons des colons, ou à les remettre intactes aux Palestiniens. «Franchement nous n'en voulons pas, dit Talaat Harab. C'est un cadeau empoisonné. Nous n'avons pas besoin de maisons avec une pelouse et une piscine, mais d'immeubles pour loger un plus grand nombre de personnes.»
Toutes les cartes ne sont pas entre leurs mains. Mais les Palestiniens voudraient ne pas gaspiller cette opportunité de montrer qu'ils sont assez responsables pour construire leur futur Etat. «Le monde entier nous dit : «Palestiniens vous avez une chance. A vous de prouver que vous êtes capables d'en faire quelque chose», explique Salah Abdel Shafi, un analyste économique de Gaza. Nous avons besoin de bonne gouvernance, de transparence et surtout de sécurité. Si ça marche à Gaza, nous aurons une chance de construire notre Etat.» En cas d'échec, le rêve d'un Etat palestinien vivant en paix côte à côte avec Israël s'évanouira pour longtemps.

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