21.6.05

La diplomatie européenne sous tutelle anglo-saxonne

Une image internationale ternie

Bruxelles : de notre correspondante Alexandrine Bouilhet
[Le Figaro, 21 juin 2005]

A l'image de la diplomatie française, encore sous le choc du non, la diplomatie européenne est à quai. Elle survit, ces jours-ci, grâce à des décisions prises par l'Union avant la crise. La conférence internationale sur l'Irak qui se tient aujourd'hui et demain à Bruxelles, à l'initiative des Américains, est prévue depuis trois mois. «Heureusement que l'on a ça !», soupire un diplomate bruxellois. Entérinées à vingt-cinq, les missions de l'Europe en Irak, en Iran, au Darfour, ou son action dans les Balkans, ne sont pas remises en question.
Mais la crédibilité de l'Europe dans le monde est atteinte. Alors que les Européens restent les plus gros pourvoyeurs de fonds pour le développement, la sordide bataille sur le budget entre Jacques Chirac et Tony Blair, deux Bons Samaritains pris la main dans le sac, ternit l'image du continent. Exposées au monde entier, ces querelles de pays riches, qui se battent en fait pour le leadership de l'Europe, sont un gage de faiblesse pour toute l'Union. «L'affaiblissement de l'Europe se fera dans un processus lent, rampant, imperceptible, dont les autres s'apercevront plus vite que les Européens», a déclaré Jean-Claude Juncker, désespéré, après son sommet raté.
Pendant que l'Europe se passionne pour ses guerres intestines, les Etats-Unis occupent de plus en plus le terrain. Alors que Tony Blair et Jacques Chirac s'invectivent, Condoleezza Rice, elle, creuse son sillon au Proche-Orient et en Egypte. Elle sera demain à Bruxelles, pour célébrer devant un parterre de personnalités venues du monde entier le «nouvel Irak», «libéré» par les forces anglo-américaines. Les Européens, représentés par leurs ministres des Affaires étrangères, seront priés de ne pas gâcher la cérémonie. «Cette conférence sur l'Irak en plein Bruxelles, c'est un formidable coup de pub pour les Etats-Unis et la Grande-Bretagne», reconnaît un diplomate belge.
Vue de Bruxelles, la guerre entre Londres et Paris est une source de paralysie durable pour une diplomatie commune, qui repose avant tout sur l'entente cordiale. Le spectre d'une crise à l'irakienne menace le travail de Javier Solana, lequel ne peut agir et parler que s'il a le feu vert de Paris, Berlin et Londres. En cas d'hostilité majeure, comme ce fut le cas en 2003, sur l'Irak, le haut représentant est soumis au silence. Ce rôle ingrat, Solana pensait s'en défaire grâce au titre de «ministre» des Affaires étrangères de l'Union qui devait lui revenir en 2006. Mais cette nouveauté institutionnelle a été mise au congélateur avec la Constitution moribonde.
Suivant le rapport de forces entre Londres et Paris, la diplomatie européenne prend des accents «anglais» ou «français». Depuis plusieurs mois, les experts reconnaissent que c'est une vision anglo-saxonne des relations internationales, réaliste mais assez soumise à la politique américaine, qui s'impose à Bruxelles. Soutenu par Washington, Londres a réussi à briser le consensus qui se dessinait sur la levée de l'embargo sur les ventes d'armes à la Chine. Prévue pour cette année, la fin des sanctions, réclamée par Paris, est renvoyée aux calendes grecques, Londres refusant le moindre geste en faveur de Pékin sous sa présidence. L'Union européenne, réconciliée avec George W. Bush, a également accepté d'ouvrir un bureau de la Commission à Bagdad. Dès le 1er juillet, elle lancera une mission de formation des forces de l'ordre en Irak. Une antenne européenne de cette mission européenne «UE lex» a trouvé refuge à l'ambassade de Grande-Bretagne à Bagdad.
Plus récemment, Londres et Washington ont également réussi à imposer l'Otan en Afrique, par le biais d'une mission de soutien de l'Union africaine au Darfour. Cette diplomatie commune de plus en plus «british» ne manquera pas de s'accentuer lors de la présidence britannique.

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