21.6.05

Rice réclame plus de démocratie au Caire

ÉGYPTE Trois mois avant les élections

Le Caire : Tangi Salaün
[Le Figaro, 21 juin 2005]

«Il faut que l'Etat de droit remplace les décrets d'urgence, qu'un système judiciaire indépendant remplace la justice arbitraire. Il faut que le gouvernement croie en son propre peuple.» C'est une Condoleezza Rice particulièrement pugnace qui s'est adressée, hier à un parterre de personnalités et d'étudiants de l'Université du Caire.
Un peu plus tôt déjà, à l'issue d'un entretien avec le président égyptien Hosni Moubarak à Charm el-Cheikh, elle avait lancé un plaidoyer pour davantage de démocratie au Proche-Orient : les Etats-Unis appuient «les aspirations démocratiques de tous les peuples», a-t-elle dit, l'Egypte étant invitée à donner l'exemple en organisant «des élections libres et équitables». La mise en garde n'a pas échappé au ministre égyptien des Affaires étrangères. «Qui pourrait objecter à ce qu'il y ait des élections justes et transparentes ? Elles le seront, je vous l'assure», a répliqué Ahmed Aboul Gheit, en interrompant Condoleezza Rice en pleine conférence de presse.
L'Egypte a du mal à cacher son irritation face aux ambitions américaines dans la région, qu'elle considère comme des «ingérences» insupportables. L'an dernier, déjà, Hosni Moubarak avait pris la tête de la fronde arabe contre le projet de «Grand Moyen-Orient» de George W. Bush. La Maison-Blanche ne l'a pas oublié. Elle n'a pas oublié non plus le bras de fer provoqué par l'arrestation, en février, de l'opposant Ayman Nour, chef du parti libéral Al-Ghad (Demain). En représailles, Condoleezza Rice avait annulé un premier voyage prévu au début mars au Caire. Devant les pressions croissantes, le président égyptien avait fini par fléchir en relâchant Ayman Nour et en annonçant que l'élection présidentielle de septembre serait, pour la première fois, ouverte à plusieurs candidats.
En posant des conditions de candidature très restrictives et en continuant à marginaliser l'opposition, privée d'accès aux médias ou empêchée de manifester au nom de la loi d'urgence, les autorités égyptiennes ont toutefois montré qu'elles n'entendaient accepter qu'une ouverture contrôlée. «Le régime peut faire plaisir aux Etats-Unis tant que cela ne risque pas de le déstabiliser», résume le politologue Jean-Noël Ferrié, du Centre d'études juridiques du Caire (Cedej).
Les agressions d'opposants et de journalistes par des hommes de main du parti au pouvoir, en marge du référendum constitutionnel qui a entériné, le 25 mai, la réforme de l'élection présidentielle, ont réveillé le mécontentement de Washington. «Ce n'est pas notre vision de la démocratie», a tranché George Bush. Hier, Condoleezza Rice a donc enfoncé le clou. «La crainte du résultat des élections ne peut plus justifier le refus de la liberté», a averti la secrétaire d'Etat. Avant de préciser : «Je crois que nos amis égyptiens comprennent cela et qu'ils prendront leurs responsabilités, parce que les gens observeront ce qui se passera en Egypte.»
Les Etats-Unis préconisent l'envoi d'observateurs internationaux pour superviser les prochaines élections. Une proposition rejetée par les autorités, mais aussi par les magistrats égyptiens, qui ont pourtant menacé de ne pas superviser ces scrutins si on ne leur donne pas les moyens d'en garantir la transparence. «Les déclarations américaines desservent notre cause», expliquait récemment Yehia Galal, vice-président de la Cour de cassation, en évoquant un anti-américanisme sans précédent en Egypte.
Dans les manifestations, quand ils sont à court de slogans, adversaires et partisans d'Hosni Moubarak se jettent ainsi le même anathème : «Vous êtes avec les Américains !» Hier, à l'exception notable d'Ayman Nour, qui entend se présenter contre Hosni Moubarak, très peu d'opposants ont donc souhaité rencontrer Condoleezza Rice. Une réticence qui s'explique aussi par les contacts que les Etats-Unis auraient pris récemment avec les Frères musulmans, principale force d'opposition du pays. Ce rapprochement présumé embarrasse le reste de l'opposition, autant qu'il inquiète le régime, qui a durci la répression contre la confrérie islamiste interdite, mais tolérée, tout en faisant en sorte de l'écarter de la prochaine présidentielle.

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