31.8.05

Le général el-Sayed, architecte de la mainmise syrienne sur le pays

L’ancien chef de la Sûreté générale entendu comme suspect

Georges Malbrunot
[Le Figaro, 31 août 2005]

Cet homme a de la dynamite entre les mains. Longtemps à la tête de la Sûreté générale, le plus puissant service de renseignements libanais, le général Jamil el-Sayed, arrêté hier à Beyrouth, a été l’architecte de la mainmise syrienne sur le Liban, depuis la fin de la guerre civile en 1991. Son influence lui permettait de donner des ordres au président Lahoud, que Sayed méprise superbement.
«Je sais beaucoup de choses», nous confiait-il récemment, dans son appartement du bord de mer à Beyrouth, où trônent les photos le montrant en compagnie de Jean-Paul II, Jacques Chirac, et de ses mentors syriens, Assad père et fils.
A 57 ans, el-Sayed n’ignore rien des turpitudes de nombreux responsables libanais, de leurs liens avec des Français ou des mystères des prises d’otages occidentaux au pays du Cèdre. Ses dossiers intéressent jusqu’au juge Bruguière qui aimerait l’interroger sur l’assassinat d’un agent de la DGSE au début des années 80 à Beyrouth.
Ses opposants le dépeignent comme «un tueur redouté qui a mis en filature de nombreuses personnalités et couvert la corruption du système libano-syrien» au pouvoir à Beyrouth. «Il a fait le sale boulot, mais avec talent», note un ancien général, qui rappelle une autre de ses prérogatives : être le lien entre le Hezbollah et son parrain syrien dans leur face-à-face avec Israël.
Le voilà rattrapé par la justice libanaise. Que sait-il de l’assassinat d’Hariri ? «Les Syriens, les Israéliens ou la piste islamiste djihadiste», se contente-t-il de répondre. Petit, le regard vif, les cheveux lissés, le général Sayed se voulait serein en recevant exceptionnellement mi-juillet un média occidental. Pourtant, quelques jours auparavant, il était mal à l’aise lors de son audition par la commission Mehlis.
Ce chiite originaire de la plaine de la Bekaa parle un français parfait, souvenir de sa formation à l’Ecole de la cavalerie de Saumur et de ses nombreuses fréquentations dans l’Hexagone. Le général Sayed connaît bien les patrons de la DST et de la DGSE, avec lesquels il a renforcé la lutte antiterroriste depuis le 11 Septembre. A Beyrouth, il déjeunait régulièrement avec les ambassadeurs de France et des Etats-Unis. Tous louent son professionnalisme.
Convaincu de la nécessité d’une relation stratégique avec Damas, Sayed a toujours assumé ses convictions prosyriennes. Mais il a du mal à donner l’image d’un homme qui n’est pas à la botte. «Historiquement, explique-t-il, la stabilité du Liban a toujours reposé sur deux piliers, l’un occidental, la France, l’autre arabe, la Syrie. Depuis le retrait syrien, le pays a perdu son appui arabe, c’est dangereux». Et de comparer le vide sécuritaire consécutif à la démission forcée des responsables des services, à «une maison qui n’a plus ni porte ni fenêtre».
L’été dernier, Sayed a tenté de jouer les missi dominici pour éviter l’adoption par l’ONU de la résolution 1559, qui appelle au retrait syrien du Liban. «Gardez Hariri, mais laissez-nous Lahoud», confiait-il à l’un de ses amis français. Dans une note aux ambassadeurs des cinq pays membres du Conseil de sécurité de l’Onu, il avait mis en garde contre «une source d’instabilité». Cette résolution, selon lui, «flatte l’ego d’une France nostalgique de son influence au Levant». Mais il est encore plus acerbe contre le gouvernement américain. «Cette administration est dangereuse, parce que c’est une idéologie qui guide l’action des militaires à Washington. Or, chaque fois qu’une idéologie commande les militaires, cela mène à la catastrophe.»
Ses connaissances pourraient en faire un témoin dérangeant. Se sent-il menacé ? «J’ai choisi ce métier que j’exerce depuis trente-sept ans, j’en assume les risques», lâche-t-il sobrement. Certains ont pu s’étonner que ses protecteurs syriens ne lui aient pas offert l’asile après sa démission, dans la foulée de l’assassinat de Rafic Hariri. Mais le chef de la Sûreté générale n’était pas au mieux avec Ghostom Khazalé, le principal responsable syrien au Liban. Contrairement à ce qu’il prétend, ce sont les Syriens qui l’ont dissuadé de se présenter sur une liste Hezbollah aux dernières élections législatives dans son fief de la Bekaa. Ses projets ? «Je vais ouvrir un centre de recherches stratégiques à Beyrouth. J’ai déjà trouvé un nom». Il devra attendre d’être blanchi par la justice libanaise.

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