8.4.06

Les limites de la Media Diplomacy

De plus en plus, les médias servent de canaux de transmission de messages à caractère diplomatique. Le conflit proche-oriental est même le précurseur de cette nouvelle forme de diplomatie, Dear Henry n'ayant jamais sous-estimé sa puissance dans son jeu de bascule entre Israël, Syrie et Egypte. Vendredi, dans un entretien publié par les quotidiens britannique the Times et français Libération, le ministre palestinien des Affaires étrangères, Mahmoud Zahar, a affirmé que le Hamas était prêt à discuter du principe d'une solution à deux Etats qui reconnaîtrait le droit à l'existence d'Israël. Il a toutefois précisé qu'il souhaitait obtenir des éclaircissements sur ce que recouvrait ce concept auprès du quartet de médiateurs sur le Proche-Orient, composé des Etats-Unis, de l'Onu, de l'Union européenne et de la Russie. Pris de court par cette publication, tant l'information est en elle-même importante, de hauts responsables du Hamas ont aussitôt nié que leur gouvernement envisageait un tel règlement au conflit israélo-palestinien, ou encore qu'il comptait présenter un projet en ce sens au président palestinien Mahmoud Abbas. Une des raisons à ce qui peut sembler une surenchère est la publication de cet exercise de Media Diplomacy de façon certainement intempestive, c'est-à-dire avant que le Premier ministre palestinien Ismaïl Haniyeh, lui aussi un haut responsable du Hamas, ait rencontrer, en fin de matinée, Abbas. Une autre explication, improbable, serait de vouloir saboter la situation plus avant.
En tout cas, ce couac montre combien l'exercise est risqué pour qui la manie sans discernement. Il est vrai que la Media Diplomacy diffère des attentats-suicide et autres productions audiovisuelles du mouvement terroriste Hamas. Pourtant, la réponse, tout aussi médiatique, des Etats-Unis et de l'Union européenne, de suspendre leur aide directe au gouvernement palestinien dirigé par le Hamas appartient au même registre des occasions manquées. Si Bruxelles doit encore faire entériner sa décision à Luxembourg, lundi, lors de la réunion des ministres européens des Affaires étrangères, il semblerait acquis que l'on se dirige vers une solution américaine. En effet, l'Union européenne calquera sa position sur celle de Washington qui a décidé d'augmenter son aide humanitaire distribuée par le biais de l'ONU de 57 %.

Occasion manquée à plus d'un titre

Médiatiquement, l'Union européenne et les Etats-Unis entendent ainsi marquer leur refus de négocier avec les terroristes. Mais le Président et le Premier ministre palestiniens, Mahmoud Abbas et Ismaïl Haniyeh, ont appelé au respect du choix démocratique des Palestiniens. Le Hamas est arrivé au pouvoir à la suite d'élections libres, permises aussi bien par Israël que la communauté internationale. Par bien des aspects, ce mouvement terroriste dispose même de plus de légitimité qu'un autre mouvement terroriste arrivé à la tête de l'Administration palestinienne, le Fatah de Yasser Arafat... Certes, mais il est islamiste et, depuis le 11-Septembre, tout islamiste est présumé appartenant à la mouvance Ben Laden. Voilà la vraie raison de l'attitude occidentale à l'endroit du gouvernement Haniyeh.
En agissant ainsi, l'Union européenne et les Etats-Unis pensent faire comprendre à une population emmurée et maintenue dans un chômage artificiel par Israël que leur action n'est pas dirigée contre elle, mais seulement contre ses dirigeants. C'est la réédition de la tactique autrichienne de l'Union européenne, qui avait maintenu un embargo contre Vienne tant que des dirigeants de l'extrémiste parti FPÖ étaient au gouvernement... avant de la réintégrer discrètement et de nommer commissaire européenne une membre de ce gouvernment tant honni... En plus de porter ateinte à la démocratie dans la région, mot d'ordre pourtant de George Bush dans son projet de Grand Moyen Orient, cette attitude renforce les extémistes de tous bords, même si leurs actes seront récupérés inévitablement par la branche armée du Hamas... Elle entend péréniser une attitude bien mise en oeuvre par les gouvernements israéliens du temps d'Arafat : exiger de l'Autorité palestienne qu'elle en finisse avec le terrorisme tout en la privant des moyens financiers pour assumer sa mission administrative et en désarmant sa police.
Cette ingérence occidentale brise également la bonne volonté affichée du Hamss. A la Realpolitik israélienne, qui cherche les clés de sa sécurité à Washington, semblait vouloir répondre une Realpolitik palestienne, fondée sur la conception de deux Etats sur ce petit bout de terre vivant, sinon en paix, du moins en bonne ignorance. Ce que soixante ans de guerre ont fait à trois générations, il ne faut pas penser le règler d'un simple usage de Media Diplomacy. De temps en temps, la politique doit parler d'une voix claire et courageuse. Du côté palestinien, où le gouvernement vient de revenir à des Palestiniens de l'intérieur, et non plus de l'exil, à des hommes neufs, car non impliqués dans la stratégie suicidaire qui a suivi Oslo, il semblerait que le temps soit venu. Le Hamas est prêt à de nombreux reniements... à condition qu'on l'aide, et non qu'on le persuade que la négociation est une erreur.

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