6.4.06

Mort d'un agent double irlandais

Jacques Duplouich
Le Figaro, 06 avril 2006, (Rubrique International)

L'assassinat de Denis Donaldson, ancien espion de Londres au sein des républicains nord-irlandais, porte un nouveau coup au processus de paix en Ulster.
«SAUVAGERIE meurtrière» pour Bertie Ahern, le Premier ministre irlandais. «Barbarie effroyable» pour Peter Hain, le ministre britannique en charge de l'Irlande du Nord. Férocité criminelle qu'un Tony Blair, très choqué, «condamne» sans appel. Tout comme Gerry Adams, le président du Sinn Féin. Jamais la mort, dans des conditions particulièrement cruelles, d'un républicain nord-irlandais n'aura fait l'objet d'une telle unanimité par-delà les frontières du royaume et de la république. Il est vrai que la victime, Denis Donaldson, 56 ans, retrouvé mort d'une balle dans la tête et la main droite tranchée, mercredi après-midi, dans son cottage très isolé près du village de Glenties, dans le Donegal en République d'Irlande, n'était pas un «sinn féiner» comme les autres.
Républicain certes, aux lettres de créance irréprochables : artificier de l'Armée républicaine irlandaise (IRA) ; compagnon, derrière les barreaux, de Bobby Sands, le héros charismatique de l'organisation clandestine mort d'une longue grève de la faim et enfin pilier du Sinn Féin, l'aile politique du mouvement républicain dont il est, jusqu'en octobre 2002, le directeur administratif à l'Assemblée de Belfast. Républicain donc, mais aussi, au coeur du Sinn Féin et de l'IRA, une «gorge profonde» du contre-espionnage britannique.

L'IRA dément toute implication

En décembre 2005, ce proche collaborateur de Gerry Adams reconnaît à la télévision être un agent de la Special Branch, le service antiterrorisme de Scotland Yard, créé en 1883 pour combattre, justement, les «féinians» irlandais. Ebahissement dans le camp républicain. Personne n'aurait pu soupçonner ce hiérarque au-dessus de tout soupçon de pactiser avec «l'occupant britannique». Un «collabo» ! Il se trouvait «en situation délicate», dit-il, quand il est passé à l'ennemi. Infidélité conjugale ou malversation financière qui le rendaient, alors, vulnérable, nul ne sait.
En 2002, une curieuse affaire le déstabilise. Ses mentors l'accusent de mettre à profit son poste à l'Assemblée de Belfast pour collecter, au profit de l'IRA, des informations sur d'éventuelles cibles – politiques, policiers, magistrats. Scandale. Les unionistes protestants, favorables au maintien de l'Irlande du Nord au sein du Royaume-Uni et réfractaires au partage du pouvoir avec les républicains dans la province, accusent le Sinn Féin et l'IRA de «terrorisme rampant». David Trimble, le Premier ministre, démissionne. Le processus de paix s'interrompt. Londres reprend en main le gouvernement de la province. L'expérience de pouvoir partagé, défini par les accords de Belfast en 1998, prend fin dans l'acrimonie.
Curieusement, Denis Donaldson sera épargné. En décembre dernier, la justice renonce à le poursuivre, au motif que son procès n'est pas «dans l'intérêt du public». Y a-t-il eu manipulation de la part des services, dont le Sinn Féin assure que ses dirigeants sont opposés, par sectarisme antirépublicain, au processus de paix ? Toutes les suppositions sont permises. Denis Donaldson évoque, alors, «une magouille politiquement inspirée». Mais sa relaxe et les rumeurs qui commençaient à circuler sur la pureté de son intégrité républicaine le contraignent à se dévoiler.
Les aveux de ce Judas repentant ébranlent un Sinn Féin découvrant avec stupéfaction l'ampleur du noyautage de ses structures par le contre-espionnage britannique. Gerry Adams assure Denis Donaldson, exclu du parti, qu'il ne court aucun danger. Depuis, il vivait dans l'opprobre, misérablement, comme un ermite, abandonné de tous, dans un cottage sans eau ni électricité d'une vallée désertée du comté de Donegal, en République d'Irlande.
Qui l'a tué ? Son meurtre, à la veille d'une rencontre décisive entre Tony Blair et Bertie Ahern, aujourd'hui à Armagh, en Irlande du Nord, vouée à relancer les institutions nord-irlandaises, porte la marque des exécutions de traîtres par l'IRA. Mais l'organisation clandestine dément toute implication. Des paramilitaires mécontents ou des dissidents, alors ? Ou des proches d'activistes victimes de ses délations ? Les unionistes sont persuadés, eux, que l'IRA est coupable. Ils renvoient aux calendes grecques la perspective d'un gouvernement partagé avec le Sinn Féin. A l'inverse, parmi les républicains prévaut l'hypothèse d'un «coup» des services britanniques pour faire taire un témoin gênant et torpiller un peu plus le processus de paix. A l'exception de Blair et d'Ahern, tout le monde s'accorde sur un point : le rétablissement à moyen terme du gouvernement nord-irlandais est, aujourd'hui, une vue de l'esprit.

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