9.3.05

"L'Europe perd progressivement son rang dans le domaine spatial"

ENTRETIEN

LE MONDE | 09.03.05 | 14h02

François Auque est président d'EADS Space.

La Commission européenne a repoussé le choix du futur concessionnaire de Galileo. Comprenez-vous cette décision comme une incitation au rapprochement des deux consortiums ?

Je n'en sais rien puisque, officiellement, la Commission dit que ces trois mois supplémentaires vont être mis à profit pour continuer la compétition entre les deux consortiums. Vu l'ampleur de ce projet, je ne suis pas sûr que les instances qui doivent décider aient l'expérience requise pour le faire rapidement. Galileo est un projet européen, donc le bon sens incite à conclure que les principaux acteurs et pays européens devraient avoir leur "part". Est-ce qu'on arrive à ce résultat par la fusion des consortiums - auquel cas, il faut nous le dire -, ou par la sélection de l'un d'entre eux qui, ensuite, par pragmatisme, s'ouvrirait à certains éléments du consortium perdant ? Ce n'est pas à moi d'en décider.

Un tel projet suffit-il à assurer l'avenir de l'espace européen ?

Non, bien sûr. C'est un programme majeur, stratégique, mais ce n'est "qu'un" programme de 3 milliards d'euros. Il faut que d'autres prennent le relais, comme le GMES - observation de l'état de l'environnement sur la Terre -. L'activité spatiale dans le monde est à dominante publique, le marché commercial étant marginal. Aux Etats-Unis, le gouvernement dépense, dans le domaine civil, 16 milliards de dollars par an - 12 milliards d'euros -. Dans le domaine militaire, il dépense également 16 milliards, plus une bonne partie des 10 milliards de dollars - 7,5 milliards d'euros - de la défense antimissiles. Cela fait environ 40 milliards de dollars - 30 milliards d'euros -. En Europe, c'est 5 milliards d'euros pour le civil et moins d'un milliard pour le militaire ! Cela veut dire que l'ambition européenne est stagnante. Or non seulement on assiste à une accélération aux Etats-Unis, mais, derrière les Européens, il y a une série de pays qui expriment l'ambition qui était celle de l'Europe dans les années 1960, comme le Japon, la Chine, la Corée du Sud. Donc notre continent perd progressivement, mais sûrement, son rang dans le domaine spatial.

Avec les programmes Galileo, Hélios, Syracuse, est-ce que l'Europe n'a pas commencé à rattraper son retard ?

Non, on n'est pas du tout dans une phase de rattrapage, mais dans une phase où on accumule du retard. La Commission se trouve aujourd'hui face à une contrainte budgétaire qui va rendre extrêmement difficile une progression du budget spatial. Dans le domaine militaire, toutes les études montrent qu'avec 2 milliards d'euros par an on pourrait avoir un système spatial cohérent. Or il ne se passe rien : les grandes lois de programmation militaires sont figées, et il en est de même des budgets civils, au sein de l'Agence spatiale européenne (ASE). Il y a donc un décalage considérable entre, d'une part, la volonté de l'Europe d'affirmer sa souveraineté et l'importance stratégique fondamentale de l'espace, et, d'autre part, le montant dérisoire des moyens consacrés à l'espace militaire.

Ce qui est en jeu, c'est le maintien de compétences-clés, en tout premier lieu dans le domaine des lanceurs. Or viennent à échéance, de 2005 à 2008, la fin du développement d'Ariane-5, du missile balistique M-51 et de l'ATV, le cargo spatial. Tout cela était bien anticipé, sauf une chose : le plan de soutien à Ariane, décidé il y a deux ans, a consisté à transférer sur le budget de fonctionnement des lanceurs 200 millions d'euros par an, au détriment du budget de développement. L'industrie européenne s'est restructurée de façon drastique, mais il n'est plus possible de réduire encore les capacités sans détruire la capacité de concevoir de nouveaux lanceurs.

Que recommandez-vous ?

L'appel que je lance aux pays membres de l'ASE concernés par l'activité lanceur (la France, l'Allemagne et l'Italie), c'est de dire que, si on ne rétablit pas, en 2006, ces 200 millions d'euros de développement, nous allons endommager de façon irrémédiable la capacité de l'Europe à développer des lanceurs.

Propos recueillis par Laurent Zecchini
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 10.03.05

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