LIBAN Trente ans après le déclenchement de la guerre civile, le 13 avril 1975, le pays du Cèdre espère tourner une page de son histoire
Au moment où il se souvient du déclenchement, il y a trente ans, de la guerre civile qui allait ravager le pays pendant quinze ans, le Liban s'enfonce dans la crise politique. L'armée syrienne poursuit son retrait du pays, entamé après l'assassinat de l'ex-premier ministre Rafic Hariri le 14 février. Mais les dirigeants prosyriens n'ont toujours pas réussi à former un nouveau cabinet. Cela rend presque inéluctable un report des législatives prévues en mai. Le Liban est sans gouvernement depuis six semaines.
Beyrouth : Sibylle Rizk
[LE FIGARO 13 avril 2005]
Le Liban marque aujourd'hui le trentième anniversaire du début de la guerre civile, le 13 avril 1975. Le conflit, qui dura quinze ans, fit quelque 150 000 morts, pour la plupart des civils. L'anniversaire serait presque passé inaperçu s'il ne s'accompagnait pas du retrait des forces syriennes, vingt-neuf ans après leur entrée au Liban. Leur départ définitif est prévu pour la fin du mois. Il a été rendu possible grâce aux pressions internationales et à une mobilisation populaire sans précédent, déclenchée par l'assassinat de l'ancien premier ministre Rafic Hariri, le 14 février. Pour beaucoup de Libanais, le départ de l'armée syrienne, intervenant après celui de l'armée israélienne du sud du pays en mai 2000, scelle la fin du conflit, beaucoup plus que ne le fit l'accord inter libanais de Taëf, en 1989. Cependant, si une vague d'optimisme a envahi la population, elle ne va pas sans une pointe d'inquiétude.
Comme le disait Michel Chiha, l'un des intellectuels dont la pensée a été fondatrice pour l'identité du Liban, ce pays serait «condamné à vivre dangereusement», pour des raisons liées tant à la géographie qu'à sa configuration interne. Trente ans après le déclenchement de l'une des guerres les plus longues du XXe siècle, beaucoup des ingrédients qui ont constitué le cocktail explosif de 1975 se sont résorbés, sans disparaître. Le Liban reste le théâtre, voire l'enjeu, de rapports de forces qui le dépassent.
Après des années de tutelle sur son petit voisin, la Syrie a dû plier bagage. La plupart des observateurs estiment néanmoins qu'elle continuera, d'une façon ou d'une autre, à peser sur les affaires libanaises. Au sud, Israël envoie régulièrement ses chasseurs violer l'espace aérien libanais. Les deux pays ont signé un armistice en 1949 mais n'ont pas normalisé leurs relations, alors que le Liban accueille l'un des plus gros contingents de réfugiés palestiniens, dont le sort n'a pas été réglé. L'Iran entretient des liens quasi organiques avec une partie des chiites libanais, la communauté la plus nombreuse, à travers le Hezbollah. Téhéran finance et arme ce parti islamiste avec, jusqu'ici, l'accord de l'Etat libanais et de son parrain syrien. L'Arabie saoudite s'intéresse à la communauté sunnite, dont le dirigeant Rafic Hariri était l'un de ses proches alliés.
Après avoir confié Beyrouth à la tutelle syrienne en échange du ralliement de Damas à la première guerre du Golfe, les Etats-Unis ont décidé d'intégrer le Liban à leur politique de remodelage du Moyen-Orient. La première étape a consisté à «rétablir la souveraineté» du Liban. La seconde pourrait être de renverser le régime syrien et de contenir l'Iran. L'un des chefs de file de l'opposition libanaise, le druze Walid Joumblatt, cherche à se distancier de ces buts prêtés à Washington, conscient de leur potentiel déstabilisateur pour le Liban. La France enfin, puissance mandataire entre 1920 et 1943, considère que le Liban appartient à sa sphère d'influence, avec l'assentiment de la majorité des Libanais.
Tous ces éléments font que le Liban n'est pas sorti de la situation d'«Etat tampon» qui le plonge à intervalles réguliers dans la tourmente, estime Georges Corm, auteur de nombreux ouvrages sur le Moyen-Orient. «Au centre d'une zone de confrontation, cet Etat est doté d'un pouvoir mou, incapable de réduire la fragmentation sociale», dit-il. Le départ des Syriens ne résout pas un «clivage insurmontable dans les conditions régionales actuelles qui oppose deux sensibilités, ceux qui regardent vers l'Occident et ceux qui se reconnaissent dans l'arabisme ou l'islamisme, voire l'anti-impérialisme d'inspiration laïque», poursuit l'ancien ministre. La question du désarmement du Hezbollah illustre ce clivage. Contrairement à ceux qui, dans l'opposition, pensent que le Liban doit désormais accomplir sa vocation de neutralité, le Hezbollah considère Israël comme une menace et ses armes comme un instrument de dissuasion, au service du Liban, de la Syrie et de l'Iran. Qu'elle corresponde à une conviction profonde ou à un prétexte idéologique visant à justifier sa propre existence, la posture de «résistance» adoptée par le Hezbollah a matérialisé la division de la société libanaise.
Car plus de soixante ans après son indépendance, le Liban n'a toujours pas réussi à cimenter l'entente des communautés qui le composent. En 1943, les Libanais ont scellé un pacte national par lequel les chrétiens renonçaient à la protection de la France, tandis que les musulmans renonçaient à aspirer à un ensemble arabe plus vaste. «Deux négations ne font pas une nation», avait commenté, dans une formule célèbre, le journaliste Georges Naccache. «Aujourd'hui, nous en sommes presque au même point», estime l'ex-ministre des Affaires étrangères, Fouad Boutros. «L'immense rassemblement multiconfessionnel du 14 mars dernier (à l'appel de l'opposition) n'est pas artificiel, mais encore faut-il lui donner des bases solides, un projet politique qui aille au-delà de la réaction à la tutelle syrienne.» La division du Liban et sa porosité face aux influences extérieures ont souvent été exploitées par des puissances sous couvert d'aider une partie contre l'autre. Les effets ont été dévastateurs, rappelle Fouad Boutros. «Le Liban, comme nation, est un compromis. Aucun groupe ne peut imposer sa volonté à l'autre», avertit-il.
Pour des intellectuels tels que Samir Frangié, cette leçon du passé a été assimilée. Aujourd'hui, à la différence de 1975, les Libanais ont fait l'expérience douloureuse de la violence. «Tous les manifestants et contre-manifestants ont défilé sous une même bannière, le drapeau libanais, et le Hezbollah a clairement fait comprendre qu'il voulait un dialogue pacifique, c'est un point de départ essentiel», dit cet opposant, membre du rassemblement de Kornet Chehwan, un mouvement de leaders chrétiens édifié sous l'égide du patriarcat maronite. «La dynamique populaire libérée par l'assassinat de Rafic Hariri témoigne d'un phénomène incroyable de réconciliation nationale», poursuit Samir Frangié, selon qui il est «impensable d'exclure les chiites, représentés par le Hezbollah, de cette réconciliation».
La coalition anti-syrienne a marqué des points contre Damas et les autorités libanaises, mais au-delà de ces victoires politiques, le travail de refondation du pays est loin d'être achevé.
13.4.05
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