Tandis que les habitants d’Andijan enterrent leurs morts, à Tachkent comme à Moscou, à Bichkek comme à Alma Ata, les observateurs s’interrogent sur l’avenir de l’Ouzbékistan et de l’Asie centrale. La presse russe dresse des parallèles entre la « révolution des yourtes » au Kirghizstan et la révolte d’Andijan. La contagion démocratique va-t-elle entraîner tous les Etats issus de l’ancienne Union soviétique tels de vulgaires dominos ? Qui joue les apprentis sorciers ? Toutes ces questions, et bien d’autres, buttent en fait sur la réalité diplomatique de la croisade démocratique des Etats-Unis. La nouvelle approche de la politique américaine dans la région alimente ces débats. Certains spécialistes russes, dont Yevgenii Myachin, parlent à propos des événements de « conflits maîtrisés », qui consistent à affaiblir des ennemis potentiels (en l’occurrence la Russie et la Chine).
Mais l’Ouzbékistan n’est pas le Kirghizstan pour les Etats-Unis. Rêvant de faire de son pays un Tigre centre-asiatique, Islam Karimov a lorgné vers le modèle chinois, où l’efficacité économique rime avec la dictature politique. Mais il a fait accepter cette formule aux Occidentaux, attirés par les réserves gazières ouzbekes, et peu sourcilleux quant au respect des libertés. Ce régime, épinglé sous Brejnev pour avoir couvert le plus grand trafic de coton jamais organisé, a beau être corrompu et soumis à la discrétion du Prince, il est « stable », argumentent les hommes d’affaires. Et même si, depuis les premiers attentats terroristes contre Karimov de 1999, cet argument semble s’étioler, la coopération militaire avec les Etats-Unis s’affirme : un accord a été signé en 1996 avec Washington pour assurer l’encadrement d’une école pour sous-officiers, suivie de l’installation récente d’une base pouvant accueillir mille soldats américains, sans parler de l’organisation annuelle d’un exercice de l’Otan (exercice ultrabalance).
L’une des questions décisives est relative au tracé des oléoducs et des gazoducs et la part qui reviendrait en la matière à Tachkent qui ne risque certainement pas d’être tenue complètement à l’écart des consultations et des décisions, puisqu’elle est productrice (en pétrole et gaz) et exportatrice (en gaz). Le fait est que, ces derniers mois, on a assisté à une minicrise dans les relations américano-ouzbekes. Les Etats-Unis, qui considèrent le régime d’Islam Karimov comme l’un des principaux bénéficiaires politiques et économiques de la situation consécutive à la chute des talibans, se préoccupent de la situation alarmante des droits de l’homme et menacent de couper l’aide militaire et économique si cette situation ne s’améliore pas.
Le programme de partenariat stratégique conclu avec Washington assortit l’aide américaine au « progrès substantiel et continu » dans le domaine des droits de l’homme et dans celui de l’établissement d’un système pluripartite, à la tenue d’élections libres, à l’installation de la liberté d’expression et à l’indépendance des médias. Ce programme est soutenu par USAid depuis octobre 2001 (http://www.usaid.gov/pubs/cbj2003/ee/uz/) et a déjà coûté aux contribuables américains plus de cinquante millions de dollars. La différence avec le Kirghizstan, l’Ukraine ou la Géorgie tient au fait que ces investissements sont fait sur le régime en place et non contre lui.
Les mouvements de rébellion étaient donc voués à l’échec. Ils ne reposaient que sur une réalité tribale, prégnante dans la région et non sur une mobilisation démocratique, comme l’entendent les Etats-Unis. La déstabilisation en cours en Ouzbékistan n’est pas téléguidée de l’étranger, ni de Washington, ni de Téhéran. Cette nation culturellement persane recèle bien sur des islamistes, les vingt-trois chefs d’entreprise condamnés étaient bien sûr musulmans, mais ils étaient avant tout de la vallée de la Ferghana, surpeuplée et agricole, misérable et frondeuse. Il n’y avait pas de terroristes liés de près ou de loin à Al Qaïda. La rétention gouvernemental d’informations aimerait seulement le faire croire aux Etats-Unis…
17.5.05
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