Hormis son côté malheureux, l’enlèvement de Clementina Cantoni, une jeune humanitaire italienne, en Afghanistan relance la question de la qualification de ce genre d’événements par les médias. En effet, sa médiatisation par les autorités afghanes le réduit à un acte criminel, destiné à faire libérer des membres d’un gang du nord de Kaboul. Les mêmes affirmations entachent la séquestration de la journaliste française Florence Aubenas et de son chauffeur, Hussein Hanûn al Saadi. Cette criminalisation tend à réduire les conséquences de ces actes terroristes. L’Afghanistan reste un pays en guerre, où des armées étrangères assurent une sécurité aléatoire. La résistance qui s’organise à ce qu’il faut bien appeler une occupation dispose deux moyens, l’un passif et l’autre actif. Le premier consiste à ne pas jouer le jeu, comme les sunnites irakiens qui s’abstinrent lors du processus électoral de janvier dernier, avec les conséquences que l’on sait. Le second porte en lieu tous les germes de la violence identitaire, qui n’est pas spécifique au monde arabo-musulman, et de la criminalisation d’un combat patriotique. C’est sur cette dernière dualité que porte la gestion médiatique des enlèvements.
Le 28 octobre 2004, trois membres de l’ONU en Afghanistan avaient été enlevés en plein jour par des hommes en tenues militaires ; les médias dirent qu’il s’agissait de « membres d’un groupe criminel en lien avec des militants islamistes ». Ils avaient été relâchés un mois plus tard sans que l’on sache si une rançon avait été versée. Le 10 avril 2005, un civil américain échappait de peu à une tentative d’enlèvement dans le quartier des ambassades de Kaboul. Attaqué et jeté dans le coffre d’une voiture par des inconnus, il avait réussi à s’échapper en réussissant à ouvrir le coffre de l’intérieur. Enfin, le 7 mai, trois employés de la Banque mondiale, deux Américains et un Italien, avaient été attaqués par des hommes armés dans le quartier de Qala-e-Fatullah, tout proche de Qala-e-Mosa, alors qu’ils se rendaient dans un restaurant, échappant selon leur employeur à une tentative d’enlèvement.
En mettant en avant la dérive mafieuse des insurgés, l’impact politique de leurs actions s’en trouve réduit, voir totalement annihilé à force de répétition, aux yeux de l’opinion publique. Or, justement, la dénaturation de leur message concourt à leur échec politique. Les décapitations en Irak ont suscité de l’effroi lors de leur médiatisation intense, tan t dans les médias de masse que dans les nouveaux. Mais elles ont fini par atteindre une banalisation contre-productive. Et Zarqawi l’islamiste finit par apparaître comme le criminel qu’il était en Jordanie. D’autres portraits de lui finirent par apparaître sur les écrans de télévision, le montrant comme un nihiliste.
L’explication est évidemment trop simple. L’œuvre des opérations d’information avait fini par porter ses fruits. Les islamistes, que les événements du 11 septembre 2001 avaient fini par assimiler à des terroristes sans foi ni loi (comment en effet caractériser ces attentats, sinon comme une attaque contre l’américanisation uniformisante du monde ?), apparaissaient soudain comme de vulgaires criminels violents. Comme tous les raccourcis, elle était réductrice. D’abord, en liant islamisme et crime, cette simplification porte en elle le germe de toutes les erreurs à venir pour comprendre le monde musulman. L’article de « Newsweek » sur le Coran jeté aux toilettes à Gismo en est une. Elle ruine tous les efforts de la diplomatie publique américaine depuis l’entrée en guerre avec l’Irak de Saddam Hussein. Surtout elle empêche de saisir la réalité politique inhérente à chaque mouvement terroriste.
L’amalgame avec al Qaîda uniformise l’islamisme en un mouvement internationaliste comme l’était le communisme soviétique. Il oublie que l’argent reçu d’Arabie saoudite, de quelque compte que ce soit d’ailleurs, a inondé les mouvements contestataires du monde arabe et de Bosnie. Il s’agissait de lutter contre des régimes socialistes ou personnels, ne se préoccupant pas des services sociaux de base. Ce n’était pas une entreprise de wahhabisation, et moins encore de contagion islamiste. Les réseaux n’étaient pas encore contraints à la clandestinité. Ils avaient pignon sur rue. Le Hamas à Gaza, comme le Hizb‘allah au Liban présentent ces deux évolutions ; mais il ne faut pas oublier qu’ils se sont développés dans des sociétés en guerre. En Algérie, c’est l’interruption du processus électoral qui a conduit à la violence et à la radication. Les Frères musulmans existaient en Egypte et en Jordanie, pour ne retenir que ces deux pays, avant que Bin Laden ne brame pour la première fois.
Cette incompréhension occidentale de l’intégrisme musulman correspond en fait à l’état de la société. La globalisation devrait ouvrir à l’altérité. En fait, elle renforce les différences entre cultures, entre une culture occidentale qui s’est bâti une spiritualité sans Dieu et des cultures encore fortement croyante. Les questions de morale et de foi que véhiculent ces mouvements islamistes ne sont pas différentes, loin s’en faut, de celles qui habitent le christianisme. Mais il suffit que le Saint-Siège se retrouve à voter comme l’Iran pour que ressurgissent des relents de criminalisation de l’Eglise catholique…
18.5.05
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