19.5.05

Le Conseil de l’Europe, l’Union européenne et le Luxembourg

Le troisième sommet du Conseil de l’Europe devait être celui de la transparence. Les quarante-six chefs d’Etats membres de l’organisation d’Etat ont ainsi tous proclamé leur « attachement » à cette organisation créée en 1949 et basée à Strasbourg, mais leurs propos n’ont pas reflété exactement la « déclaration finale », négociée en coulisses par les diplomates. Elle rappelle que le Conseil doit se concentrer sur « sa mission essentielle », en fait la dernière qui lui reste à force d’élargissement des compétences de l’Union européenne et de l’adhésion des membres du Conseil à l’Union : la promotion des droits de l’homme. Elle précise que « toutes ses activités doivent contribuer à cet objectif fondamental ». Cela signifie, de manière implicite, que les multiples activités exercées par le Conseil de l’Europe, en matière de culture, d’éducation, de sport, de santé, de social ou d’environnement, ne doivent être maintenues que si elles servent à « promouvoir la démocratie et l’Etat de droit ».
Ce recentrage était proposé par les pays qui sont à la fois membres du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne, mais combattu par ceux qui appartiennent seulement au Conseil de l’Europe : Russie, Ukraine, Etats balkaniques. Ces deux blocs se sont également opposés sur l’architecture des institutions européennes. Les représentants de la « nouvelle » Europe, anciennement soviétisée, s’opposent à ce que la « vieille » Europe communautaire empiète sur les plates-bandes du Conseil de l’Europe. La Russie voulait qu’il soit écrit que les structures développées par l’Union ne doivent pas « faire double emploi » avec celles du Conseil. Cela lui a été refusé, la déclaration finale évoquant seulement une nécessaire « complémentarité ». En revanche, le Premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker, qui préside l’Union européenne jusqu’à la fin du mois de juin, a déclaré très nettement qu’il déplore les « doubles emplois, chevauchements et rivalités de compétences », non seulement avec l’Union européenne, mais aussi avec l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE, au sein de laquelle siègent les Etats-Unis). La Russie en a convenu a accepté que le Conseil de l’Europe confie au Luxembourgeois une mission de réflexion sur le sujet. Il devra « élaborer, à titre personnel, un rapport sur les relations entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne », dans un délai d’environ un an.
Encore une fois, ce petit qu’est le Grand-duché de Luxembourg se pose en « grande » puissance de l’Europe en mouvement. Assurément, les six mois de cette présidence tournante luxembourgeoise auront été les plus prometteurs en avancée, tant dans le domaine de la coopération à vingt-cinq que dans ceux de l’économie et des relations internationales. Les objectifs fixés par la présidence luxembourgeoise sont donc en passe d’être atteints. Seul un « non » français à la Constitution entacherait un si beau bilan.
Face au Conseil de l’Europe, le Premier ministre luxembourgeois parviendra-t-il à aligner un palmarès aussi prometteur ? A n’en pas douter en fait. La géopolitique du Conseil depuis 1989 a pris en compte cette nécessaire évolution. La Cour européenne des Droits de l’Homme a été constituée à cet effet. Tous les programmes du Conseil développent à la fois une convergence européenne et cette dimension droit-de-l’hommiste. Les multiples élargissements de l’Union européenne ont sérieusement miné les ambitions du Conseil, au point d’en faire pendant quelques années un « bateau ivre ». La Cour prenait tous ses espaces, ne laissant apparemment rien aux autres services, qui peinaient à se trouver de nouvelle mission. La formation démocratique de l’espace de la mer Noire a été ce succédané de « grande vision » qui manque cruellement au Conseil.
En fait, se dessine depuis une décennie une solution similaire à l’Union de l’Europe occidentale (UEO). Le Pacte de Bruxelles arrivant à échéance en 1998, cette institution phagocytée par l’Alliance atlantique (OTAN) un an après sa création se vit dépossédée de ses plus beaux joyaux, son Centre d’études et de sécurité et son complexe satellitaire de Torrejon. Pour le reste, c’est-à-dire l’assemblée parlementaire désignée par les Parlements et les gouvernements nationaux fut maintenue, mais sans véritable fonction. L’UEO n’est pas sans similitude avec le Conseil. Elle fut une anti-chambre de l’adhésion à la Communauté économique européenne, puisque tous les membres européens de l’OTAN se retrouvaient deux fois l’an ; les discussions étaient certes politiques, mais pas uniquement consacrées aux questions de défense. La France et la Grande-Bretagne, malgré les deux veto du président de Gaulle, dépassèrent ainsi leurs divergences. Le Conseil de l’Europe a été la seule enceinte où les deux Europe nées de la Guerre froide pouvaient dialoguer. Après 1989, l’illusion otanienne de certains « nouveaux » européens a pu laisser croire qu’adhérer à l’organisation menée par les Etats-Unis était la clé pour l’Union européenne. C’était oublier tout le travail réalisé pendant cinquante ans pour bâtir la « maison européenne » fait à Strasbourg. L’assemblée parlementaire qui s’y réunit est constituée de représentants nationaux désignés par les Parlements et les gouvernements. A terme, c’est-à-dire après l’adhésion des pays des Balkans et de l’Ukraine, dont on sent bien que leur participation au Conseil est conditionnée par l’espoir de rejoindre la famille européenne de l’Union, elle sera maintenue pour poursuivre le dialogue avec le bloc russe. Quant au Conseil, il sera dépossédé de son plus beau joyau, la Cour européenne des Droits de l’Homme.
Ainsi se construit aussi l’intégration européenne. Et seul le Luxembourg semble en mesure de le faire comprendre aux Vingt-quatre…

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