26.5.05

"Les Etats-Unis n'ont soutenu Abou Mazen, jusqu'à présent, que par de belles paroles"

Entretien avec Yasser Abed Rabbo, ancien ministre de l'Autorité palestinienne, initiateur avec l'Israélien Yossi Beilin du pacte de Genève

LE MONDE | 26.05.05 | 12h35  •  Mis à jour le 26.05.05 | 21h14
Ramallah de notre envoyé spécial

Quel est, selon vous, le bilan de Mahmoud Abbas ?

Certains tentent de présenter comme un trait de son caractère l'état dans lequel il se trouve actuellement. Il serait faible. Il ne l'est pas du tout. Prenez deux exemples : le cessez-le-feu et le licenciement de responsables de la sécurité. Il est décidé et il sait trancher. Mais son bilan est strictement dépendant de l'espace que lui octroient les Israéliens qui, jusqu'à présent, n'ont même pas appliqué les mesures pourtant marginales, modestes, du sommet de Charm el-Cheikh -le 8 février-. Ils renégocient ce qui a déjà été négocié.

Vous pensez que, contrairement à ce qu'il dit, M. Sharon ne souhaite pas le succès de M. Abbas ?

Sharon n'aime pas Abou Mazen (nom de guerre de Mahmoud Abbas), parce qu'il est embarrassant. Avec lui, il est difficile de justifier la construction du mur, la poursuite de la colonisation... Mais, par ailleurs, les Etats-Unis n'ont soutenu Abou Mazen, jusqu'à présent, que par de belles paroles. La déclaration de Bush contre la colonisation n'a rien changé. Bref, ni les Israéliens ni les Américains ne l'aident, alors qu'ils lui demandent dans le même temps quelque chose d'impossible : déclencher une guerre civile en s'attaquant au Hamas. Impossible parce qu'il ne veut pas et ne peut pas. Tous les Palestiniens s'y opposeront. Je suis un modéré, mais je m'y opposerai. Si on parvient à faire entrer le Hamas dans le jeu politique, s'il respecte le cessez-le-feu et la loi, que demander de plus ? Abou Mazen est un homme courageux. Nous appartenons tous les deux à la "vieille garde" modérée, mais qui lui donne une chance ? Sharon est revenu à la politique des préalables : "Faites d'abord ceci et nous verrons."

C'est un jeu que l'on connaît par coeur, dans lequel Israël est à la fois juge et partie. Prenez l'exemple de Gaza. Les Israéliens veulent-ils vraiment réussir le retrait de Gaza ? Ou bien veulent-ils faire de Gaza un sujet de négociations interminables sur le statut des frontières, sur le port, l'aéroport, la communication entre Gaza et la Cisjordanie ? Sur tous ces sujets absolument cruciaux pour développer Gaza, nous n'avons pas de réponses. Nous ne voulons pas vivre de la charité. L'Union européenne nous soutient financièrement déjà plus qu'aucun autre peuple au monde.

Qu'attendez-vous des Etats-Unis ?

Abou Mazen dit aux Américains : "Vous jugiez qu'Arafat était incapable de tenir des engagements et d'arrêter la violence, regardez ce que je fais." Il a tenu ses engagements et arrêté la violence avec des moyens ridicules. On va voir comment les Américains vont réagir, mais qu'ils sachent que les belles paroles, les promesses, les "visions" de l'Etat palestinien, n'ont aucune valeur.

Le Fatah, le parti de M. Abbas, est aujourd'hui affaibli. Dans quelle mesure cela le pénalise-t-il ?

Abou Mazen a souhaité s'appuyer sur une base plus large que son seul parti, ce qui n'a pas été sans grincements de dents au Fatah. Les mises en retraite dans les appareils de sécurité ont principalement touché les cadres du Fatah. Mais il n'a aucun intérêt à avoir un Fatah faible. La ligne de clivage dans la société palestinienne passe entre les modérés, qu'on peut décrire dans une certaine mesure comme des "laïques" , et les conservateurs et les extrémistes. Le Fatah reste malgré tout le pilier principal du camp modéré, la pierre angulaire de mon camp, celui qui recherche un accord politique -avec Israël- et non pas une guerre éternelle.

Propos recueillis par Gilles Paris
Article paru dans l'édition du 27.05.05

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