LE MONDE | 30.05.05 | 13h56 • Mis à jour le 30.05.05 | 13h56
BEYROUTH de notre envoyée spéciale
Cela aurait pu être le plus beau jour de sa vie. En cette journée historique du 29 mai, coup d'envoi des premières élections libanaises libres depuis 1972, Saad Hariri savait qu'il sortirait grand vainqueur du scrutin de Beyrouth, avant même le décompte des bulletins de vote. Sans attendre les résultats officiels, ses partisans ont célébré ce succès annoncé à coups de feux d'artifice, notamment dans les quartiers sunnites de la capitale, retapissés pour l'occasion d'une myriade de portraits à son effigie.
Dans ce pays où les apparences revêtent un poids considérable, celui que les Libanais appellent déjà respectueusement "Cheikh Saad" affichait pourtant une mise modeste - jean et chemise - et ne dissimulait pas une forte émotion en évoquant "une journée extrêmement difficile" ou en allant saluer une petite foule de sympathisants venus l'acclamer sous son balcon. "Chaque meeting est un exercice éprouvant, confiait-il à quelques journalistes. Je vois l'ombre de mon père partout, je n'arrive toujours pas à réaliser qu'il est mort." Dans le luxueux palais de Qoraïtem, le fantôme de Rafic Hariri, l'ancien premier ministre assassiné, plane, omniprésent. "Je ne suis pas dupe, assure l'héritier, je sais que c'est pour lui que les Libanais ont voté et non pour moi. Dans l'avenir, si je n'arrive pas à leur prouver que je suis capable d'assurer sa relève, ils me sanctionneront."
A l'autre bout de la ville, dans le quartier à majorité chrétienne d'Achraffiyé, l'ambiance était également électrique, mais pour d'autres raisons. Tandis que de jeunes militants des Forces libanaises escaladaient les réverbères pour accrocher des photos de leur chef, Samir Geagea, emprisonné depuis 1994, les partisans du général Michel Aoun, de retour au pays après quatorze ans d'exil, distribuaient des tracts appelant à boycotter ces élections qui, disent-ils, ne leur ont laissé "aucune chance".
Toute la journée, le quartier a résonné de coups de klaxons signifiant, selon le tempo, un signe de ralliement à l'un ou l'autre de ces deux chefs maronites. L'intégration tardive, sur la liste de Saad Hariri, de Solange Gemayel, veuve de Béchir Gemayel, chef mythique du parti phalangiste, n'a pas non plus réussi à convaincre les adeptes de ce parti. Les bureaux de vote du secteur chrétien sont restés quasiment déserts. Sur l'ensemble de la capitale, ce scrutin sans suspense a été marqué par un fort taux d'abstention.
La morosité affichée par une partie des électeurs n'a pas découragé le héros du jour. "C'est vrai qu'il y a des frustrations chez tous les Libanais, mais ce n'est pas une raison pour minimiser la portée du scrutin, expliquait M. Hariri tout en dénonçant le confessionnalisme politique. L'utilisation de la religion dans les discours politiques me fait vomir. De ce point de vue, les Libanais sont plus évolués que leurs leaders. Ces élections constituent, quoi qu'on en dise, un grand changement. Les Syriens sont partis, ce à quoi les Libanais n'auraient même pas osé rêver il y a quelques semaines. Par ailleurs, ces élections rendront plus difficile le retour d'un Etat sécuritaire et policier dans lequel nous vivions jusqu'à présent."
Même si la loi électorale est restée celle qui avait été instaurée par Damas, le départ syrien aurait déjà eu des retombées concrètes positives. Selon Ziad Baroud, secrétaire général de l'Association pour des élections démocratiques (LADE), une organisation non gouvernementale libanaise créée en 1996, "les pressions syriennes s'exerçaient davantage sur les candidats que sur les électeurs". "A ce stade du processus, il est difficile de s'assurer que ces pressions ont cessé, poursuit-il. Mais le gouvernement a fait preuve d'une véritable volonté d'ouverture en acceptant, pour la première fois, la venue d'observateurs étrangers et en autorisant officiellement, alors que nous étions attaqués par le passé, les 700 professionnels de notre association à surveiller la bonne marche du scrutin à l'intérieur des bureaux de vote."
Fort de sa victoire à Beyrouth et à l'issue des élections, qui se poursuivront dans le reste du pays ces trois prochaines semaines et qui devraient confirmer le bon score de sa formation politique, le Courant du futur, Saad Hariri pourrait marcher dans les pas de son père et devenir, à 35 ans, le prochain premier ministre du Liban. "Cela dépendra du Parlement qui sortira des urnes, a prévenu l'intéressé. Il faut attendre le résultat final, voir si l'Assemblée élue comprend une réelle majorité favorable aux réformes et si nous remportons le nombre de sièges escomptés. Dans le cas où les conditions seraient favorables, certains de mes conseillers me poussent à accepter, mais d'autres m'en dissuadent. Je n'ai pas encore fait mon choix."
Saad Hariri est encore inexpérimenté, mais l'aura de son père est sans nul doute une caution pour la communauté internationale. "C'est un atout essentiel au moment où le pays croule sous 34 milliards de dollars de dettes", explique un proche.
Cécile Hennion
Article paru dans l'édition du 31.05.05
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