SOLIDARITÉ Le rapport d’un groupe de 17 personnalités servira de base aux travaux du prochain G 8
PAR MICHEL CAMDESSUS *
[Le Figaro, 01 juin 2005]
L’Afrique a une place de choix dans le coeur de la plupart des Français. En ces premiers jours de juin, on peut penser, cependant, qu’ils ont l’esprit ailleurs. Pourtant, c’est aujourd’hui que sera officiellement diffusée à Paris la version française du rapport de la commission créée par le premier ministre britannique pour servir de base aux travaux du sommet du G 8 en Ecosse, au début du mois de juillet prochain.
Il s’agit du travail d’un groupe de dix-sept personnalités, en majorité africaines. Un rapport de plus destiné à atterrir sur des étagères encombrées ? Certainement pas. Les circonstances sont exceptionnelles. En septembre 2005, le monde a rendez-vous aux Nations unies pour examiner l’état de mise en oeuvre des objectifs de développement du millénaire. Si les progrès sont réels dans quelques parties du monde, la situation reste dramatique en Afrique : à moins d’un changement décisif de trajectoire, elle sera loin d’atteindre ces objectifs pour 2015. On comprend que, dans ces conditions, Tony Blair ait voulu faire de l’Afrique le point majeur de l’ordre du jour du prochain Sommet. Pour le préparer, il lui fallait réunir les éléments d’un diagnostic et d’une stratégie solides. De là la création de ce groupe d’experts. Que nous disent-ils ?
Evidemment, les dimensions de la stratégie demeurent immenses. En ce matin du 1er juin, plusieurs dizaines de millions d’enfants n’iront pas à l’école ; un bébé sur six mourra avant d’atteindre l’âge de 5 ans ; 20 millions de séropositifs n’auront pas – il s’en faut – un accès assuré aux antirétroviraux et seront soignés dans des conditions précaires ; les violences continuent au Darfour, la famine menace toujours dans la corne de l’Afrique. Et pourtant, une autre Afrique voit le jour. Les changements, dont un bon nombre de leaders africains ont pris l’initiative, sont tels qu’une occasion sans précédent est offerte aujourd’hui au reste du monde d’agir, avec maintenant des chances réelles de succès, pour le développement de ce continent. C’est donc le moment de donner à ce renouveau une impulsion décisive.
Les progrès de l’Afrique, masqués par tant de fléaux et de tragédies, sont, en effet, significatifs. Le nombre des conflits diminue ; ceux qui persistent sont traités de manière plus efficace par les Africains eux-mêmes ; les progrès de la démocratie et de la bonne gouvernance s’affirment ; la conduite très améliorée des politiques macro-économiques est telle que l’objectif d’une croissance continue au rythme de 7% l’an devient accessible.
Mais tous ces progrès sont fragiles. Ils ne peuvent se confirmer que si les pays industriels tiennent parole. Il faut que le Nouveau Partenariat pour le développement économique de l’Afrique (NEPAD) tienne toutes ses promesses, que les pays industriels répondent aux progrès de l’Afrique en faisant en sorte, comme ils s’y sont engagés, que le manque de moyens financiers ne soit pas un obstacle à la réalisation des objectifs du millénaire dans les pays qui font, par ailleurs, tous leurs efforts pour gérer au mieux leur économie. Il faut enfin que Doha soit véritablement le Sommet du développement qui a été annoncé et que les négociations des derniers mois de 2005 permettent de réduire les barrières douanières et d’éliminer les subventions agricoles nuisibles à l’agriculture africaine, plus particulièrement celles qui frappent le coton et le sucre.
Il importe donc que les pays industriels apportent un soutien vigoureux aux initiatives africaines d’amélioration de la gouvernance en soutenant des initiatives telles que le mécanisme africain de revue par les pairs, la promotion de la transparence dans la transaction des industries extractives et le soutien au rapatriement des fonds acquis de façon illicite et détenus à l’étranger. Il s’agit aussi d’accroître les moyens à la disposition de l’Union africaine pour prévenir et résoudre les conflits et d’ouvrir, dès 2006, la négociation d’un traité international sur le commerce des armes qui, dans les conditions actuelles, a des conséquences ravageuses pour l’Afrique.
Il faut aussi accentuer partout le soutien aux efforts de développement humain. Cela concerne d’abord la santé, avec la lutte contre le sida, l’amélioration des services de santé, la formation d’infirmières et de médecins en grand nombre. Dans le domaine de l’éducation, il s’agit d’aider les gouvernements africains à améliorer l’éducation à tous les niveaux, y compris au-delà même des objectifs du millénaire, dans les domaines de l’éducation secondaire et les universités. Une des premières mesures devrait consister à permettre l’enseignement gratuit dans le secteur primaire.
Cet effort dans le domaine social ne pourra se confirmer dans les années prochaines que s’il est accompagné d’une croissance plus rapide centrée sur les objectifs de réduction de la pauvreté. Le premier goulot d’étranglement à faire disparaître concerne à cet égard l’insuffisance des infrastructures pour lesquelles un effort de 10 milliards de dollars par an des pays du Nord serait requis. L’Afrique est d’abord un continent agricole ; au moment où les barrières à ses exportations seront abaissées, il faudra soutenir aussi un effort majeur de productivité agricole et l’aider à se mettre en mesure de répondre à la demande actuelle des marchés mondiaux.
Si l’on additionne ces différentes contributions, il apparaît que l’aide publique au développement en Afrique devrait doubler d’ici à 2010 et prendre de plus en plus la forme de dons. Cela pose aussi la question de la réduction de la dette insupportable dont souffrent beaucoup de pays africains. Notre groupe a considéré que là où c’était nécessaire, il faudrait accepter de réduire cette dette, y compris jusqu’à un taux de 100%. Mais la réduction de la dette ne suffit pas ; il s’agit de dégager des ressources nouvelles. C’est ici que l’initiative britannique de la facilité financière internationale — pour anticiper les ressources que quelques pays se sont engagés à mettre en place avant 2015 — est particulièrement utile. Elle ne pourra réussir cependant que si les grands pays accroissent vigoureusement leurs efforts budgétaires ou adoptent les suggestions françaises pour la mise en pla ce de modes de financement innovant. De telles ressour ces pourraient s’appliquer par priorité à des objectifs aussi indispensables qu’un effort majeur en matière de vaccination et de lutte contre le sida.
L’effort ainsi suggéré est loin d’être hors de la portée des pays industriels. Habitués malheureusement à ne voir que la face d’ombre de l’Afrique, ils risquent de ne pas prendre toute la mesure de l’extraordinaire occasion créée par les progrès remarquables d’une Afrique qui se prend désormais en main. Il est temps d’ouvrir les yeux. Nous avons aujourd’hui les moyens de guérir ce que mon ami Bob Geldof appelle une blessure ouverte dans la conscience de l’humanité ; l’occasion nous est donnée aujourd’hui de donner une impulsion décisive au développement humain durable de l’Afrique ; il y va de notre sécurité et de notre intérêt bien compris. Ne la manquons pas.
* Membre de la Commission internationale pour l’Afrique, président des Semaines sociales de France, ancien directeur général du FMI, gouverneur honoraire de la Banque de France.
1.6.05
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