1.6.05

Moscou et Tokyo veulent régler le différend des îles Kouriles

JAPON La Russie fait jouer son soutien aux ambitions japonaises à l’ONU

Le chef de la diplomatie japonaise, Nobutaka Machimura, et son homologue russe, Sergueï Lavrov, ont confirmé hier à l’issue d’entretiens à Tokyo que le président russe Vladimir Poutine se rendrait bien au Japon en 2005, sans fixer encore la date de la visite.

Alain Barluet
[Le Figaro 01 juin 2005]


Soixante ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Japon et la Russie vont-ils enfin normaliser leurs relations empoisonnées par le différend territorial des îles Kouriles ? La question est sur la table à l’occasion de la visite à Tokyo, hier et aujourd’hui, du ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov. La préparation d’un voyage au Japon de Vladimir Poutine figurait à l’ordre du jour des entretiens que Lavrov a eus hier avec son homologue nippon, Nobutaka Machimura. Un déplacement envisagé au début de l’année pour célébrer le 150e anniversaire du premier traité commercial russo-nippon, mais repoussé à plusieurs reprises par le président russe. Celui-ci se rendra bien dans l’archipel «avant la fin de l’année», ont indiqué hier les deux chefs de la diplomatie. Ils ne sont pas parvenus toutefois à fixer la date de cette visite après trois heures de discussions.
Le contentieux des Territoire du Nord – dénomination nippone des îles Kouriles – est ancien et ardu. C’est en août 1945, durant les dernières semaines de la guerre en Asie, que l’Armée rouge s’était emparée des quatre îlots — Habomai, Shikotan, Eterofu et Kunashiri — situés à la pointe septentrionale de l’archipel japonais. Dix-sept mille personnes furent contraintes à l’exil. D’autres perdirent la vie dans les camps de prisonniers en Sibérie. Six décennies plus tard, le contentieux bloque toujours la signature d’un traité de paix. Les deux pays demeurent virtuellement en guerre. Pour le Japon, il ne saurait être question de pactiser avant la restitution des quatre îles. Côté russe, on invoque une déclaration de 1956 dans laquelle Moscou s’engageait à rendre aux Japonais deux des Kouriles (Shikotan et Habomai), seulement après la signature d’un traité de paix. Tokyo refuse en invoquant une «affaire de principes».
Aucune avancée significative n’a été enregistrée pendant longtemps. Depuis quelques mois, toutefois, la donne évolue. Sur le plan diplomatique, Tokyo accentue sa campagne pour obtenir un siège de membre permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. La Chine lui a refusé son soutien après les manifestations antinippones d’avril, contraignant le Japon a se ménager d’autres appuis. Vis-à-vis de la Russie, membre du «club des Cinq» permanents de l’ONU, le premier ministre, Junichiro Koizumi, a entamé une offensive de charme lors de la cérémonie du 9 mai 1945 à Moscou. Toutefois, s’il s’est prononcé en faveur de la candidature allemande, Vladimir Poutine s’est montré peu loquace concernant les ambitions nippones.
La pression économique pourrait contribuer au déblocage de la question des Kouriles. La crise avec la Chine fait peser une menace sur les approvisionnements énergétiques du Japon, jugés vitaux. Pas plus tard qu’hier, des négociations sino-japonaises sur des forages dans une zone disputée riche en gaz en mer de Chine se sont achevées à Tokyo sur une impasse. Par ailleurs, le pétrole et le gaz russes de Sakhaline — tout comme le tracé des oléoducs devant assurer leur transport — font l’objet d’un marchandage acharné entre le Japon, la Chine et la Russie. Cette dernière a besoin des investissements étrangers, et donc japonais, pour développer sa lointaine région extrême-orientale.
En avril, la Russie a mis sur la table un plan intitulé «Deux plus» : Moscou restituerait au Japon deux îles, Shikotan et Habomai (Tokyo devant abandonner sa revendication sur les deux autres) en échange de contreparties substantielles : soutien pour l’obtention du siège permanent au Conseil de sécurité, garanties concernant l’accès aux ressources énergétiques russes... A Moscou, on voit une occasion historique d’accord dans les six mois à venir. En Russie comme au Japon, les dirigeants disposeraient du répit électoral nécessaire pour faire admettre à leurs opinions publiques la nécessité d’un compromis. «Les deux parties ne pourront être satisfaites que si chacune d’elles fait quelques concessions», a jugé le chef de la diplomatie japonaise.

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