par Thomas Ferenczi
LE MONDE | 02.06.05 | 13h41 • Mis à jour le 02.06.05 | 13h41
L’Europe a besoin d’une "vision" pour se rassembler après la victoire du non en France, a déclaré le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso. Le problème est qu’elle en a au moins quatre et qu’aucune d’entre elles ne semble en mesure, pour le moment, de mobiliser l’ensemble des citoyens.
La première est celle des souverainistes, qui se réclament, pour certains, du gaullisme, pour d’autres, du nationalisme, mais qui s’alarment ensemble de l’abaissement de la France dans une Europe qui jetterait l’idée de patrie aux oubliettes. Ils pourfendent avec la même ardeur toute forme de supranationalité, s’en prennent avec la même conviction aux bureaucrates de Bruxelles, bataillent avec la même ferveur contre toute atteinte à l’indépendance de la nation. Ils sont solidement établis en France, mais aussi en Grande-Bretagne et dans de nombreux Etats européens, où ils développent un euro-scepticisme souvent virulent. Ils ne sont pas hostiles à l’Union, ne demandent pas que leur pays en sorte, ne refusent pas une Europe minimale, mais préfèrent la coopération entre Etats plutôt que le système communautaire dont Jean Monnet fut l’instigateur et dont la Commission est la garante.
Leurs adversaires répondent que l’Europe intergouvernementale ne peut pas fonctionner, que les procédures de décision y sont trop lourdes, que la paralysie menace. Certes des entreprises communes sont possibles dans ce cadre, concèdent-ils, comme le montre l’exemple d’Airbus, mais même l’avionneur issu de la volonté de quatre Etats a besoin, dans ses discussions avec Boeing, du soutien de l’Europe communautaire. Les souverainistes ne s’arrêtent pas à un tel argument : pour eux, Airbus est le fruit de "l’Europe qui marche" , qui n’est pas "l’Europe de Bruxelles" .
La deuxième vision est celle des libéraux. Elle est minoritaire en France. Nicolas Sarkozy s’en est fait le champion au cours de la campagne, en mettant en cause, avec un sens certain de la provocation, le modèle social français. "Le meilleur modèle social, a-t-il dit, c’est celui qui donne du travail à chacun. Ce n’est donc plus, hélas, le nôtre, avec 3 millions de chômeurs." L’Europe n’a donc pas pour but, comme l’ont affirmé la plupart des partisans du oui, de défendre ce modèle mais de le changer. Pour M. Sarkozy, "l’Europe est la plus formidable occasion de réveiller la France" en l’invitant à "tourner le dos aux méthodes de ceux qui n’en finissent pas de s’enfoncer dans le chômage de masse" .
Le président de l’UMP a le mérite de la franchise. Non seulement il reconnaît que le projet de Constitution est de nature libérale, mais en outre il s’en félicite au nom du dynamisme économique et de la recherche du plein-emploi. Pour les libéraux, qui n’ont pas peur de la concurrence ni de la loi du marché, l’Europe doit aider la France à s’adapter à la nouvelle donne créée par la mondialisation, seule façon de renforcer sa compétitivité dans un monde où tout s’accélère. Elle doit permettre de rompre les blocages, les archaïsmes, les lourdeurs qui l’entravent.
La vision des sociaux-démocrates, partagée en France par une partie de la droite, est plus ambiguë. Officiellement, ils pensent que l’Europe peut être un moyen de "maîtriser" la mondialisation. Dans les discours de Lionel Jospin comme dans ceux de François Hollande, la maîtrise de la mondialisation est le maître mot de la politique socialiste. Le PS a fait campagne sur ce thème en 2004 lors des élections européennes. Mais c’est une notion plutôt vague. S’agit-il de protéger la France contre la mondialisation, comme certains le demandent ? Ou de la réformer pour la mettre en situation d’y participer activement, comme d’autres le souhaitent ? La réponse n’est pas claire.
Les socialistes veulent, disent-ils, "rééquilibrer le marché" en complétant les objectifs économiques par des objectifs sociaux. La difficulté est de savoir comment articuler les uns avec les autres. L’économie sociale de marché, inscrite dans le projet de Constitution, est censée incarner cette combinaison de l’économique et du social. Elle doit permettre de moderniser le modèle social français, menacé par la mondialisation, sans le vider de sa substance, comme le veulent les libéraux, même s’ils ne le disent pas toujours ouvertement. La voie est étroite, mais le défi digne d’être relevé.
La dernière vision est celle de l’extrême gauche et du Parti communiste, telle qu’elle s’est exprimée dans la campagne du non de gauche. Elle répond à une autre logique, anticapitaliste et non marchande, fondée notamment sur la préservation des monopoles publics et le refus de la concurrence. Elle dessine une Europe qui n’entend ni se soumettre à la"mondialisation libérale" ni tenter de la maîtriser, mais qui se propose de la combattre - au risque de l’archaïsme ou de l’utopie.
La campagne du référendum aura au moins permis de mieux distinguer les différents projets européens. Il reste beaucoup à faire pour les préciser, les clarifier, les rendre crédibles. Les Français diront dans deux ans, en élisant leur président et leurs députés, quelle Europe ils veulent.
Thomas Ferenczi
Article paru dans l’édition du 03.06.05
2.6.05
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