Point de vue
LE MONDE | 02.06.05 | 13h49 • Mis à jour le 02.06.05 | 13h49
Ames Morris, qui dirige le Programme alimentaire mondial (PAM), s’inquiète des nouvelles mesures de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) pour réguler l’aide alimentaire, soulignant le risque qu’elles mettent en péril l’assistance aux 850 millions de personnes souffrant de la faim. Nous pensons quant à nous qu’une nouvelle réglementation est nécessaire pour empêcher notamment les donateurs de faire usage de l’aide alimentaire dans le seul but de se débarrasser des excédents de nourriture et d’ouvrir ainsi de nouveaux marchés.
Cependant, il est primordial de bien comprendre que des réglementations maladroites pourraient aggraver la situation alors que leur objectif est d’aider le PAM à répondre plus efficacement aux urgences et à assurer la bonne distribution de l’aide alimentaire selon les besoins réels des populations.
Alors que des questions telles que les subventions européennes pour l’agriculture et leur impact sur les pays en voie de développement retiennent l’attention, l’aide alimentaire a rarement été considérée jusqu’à maintenant comme problématique. Aujourd’hui, elle devient un sujet de controverse à l’OMC parce qu’elle est utilisée par les Etats-Unis et d’autres comme un moyen détourné d’obtenir des subventions à l’exportation pour les excédents agricoles.
Depuis toujours, les fonds de l’aide alimentaire ont tendance à augmenter dans les périodes de production excédentaire et à baisser lorsque la production est moindre... Or les pays pauvres ont de façon générale plus besoin d’aide en période de faible production et de hausse des prix.
Oxfam a bien décrit cette situation perverse : lorsque le prix des matières premières était élevé au milieu des années 1990, l’aide alimentaire a bénéficié de 4 % à 7 % des exportations céréalières des Etats-Unis, mais lorsque les prix ont chuté, en 1999 et 2000, l’aide alimentaire a augmenté à hauteur de 12 % à 20 %. En 2000, par exemple, les cultivateurs de riz guyanais ont connu une crise parce que leurs exportations commerciales vers la Jamaïque ont été supplantées par l’aide alimentaire américaine, laquelle avait soudainement doublé, suite à une récolte exceptionnelle aux Etats-Unis.
Un grand nombre de donateurs insistent pour acheter l’aide alimentaire à leurs propres agriculteurs. Environ 75 % de tous les dons à l’aide alimentaire se retrouvent ainsi"bloqués", et induisent des coûts élevés de transport, une hausse des prix de la nourriture, et des délais bureaucratiques. Selon l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE), ces surcoûts représentent entre 33 % et 50 % de plus que le prix de la nourriture achetée sur place.
Une étude de Save the Children en République démocratique du Congo, pour son rapport "Missing the point" , évoque un cas où il coûte 15 dollars d’acheminer une quantité d’aide alimentaire importée, alors que cette même quantité aurait pu être achetée sur le marché local pour seulement 1 dollar.
Il y a aussi des paramètres d’ordre pratique. L’aide alimentaire en nature peut mettre quatre à cinq mois pour atteindre sa destination, délai qui peut s’avérer bien trop long pour des populations affectées par une crise alimentaire.
Les nouvelles réglementations de l’OMC doivent aider ceux qui ont besoin d’une aide alimentaire (plutôt que les pays donateurs) en limitant l’aide alimentaire en nature aux situations de pénurie alimentaire locale grave, où les marchés locaux ont cessé de fonctionner et où il est impossible d’acheter de la nourriture aux pays voisins. Dans les autres situations, les dons devraient être financiers. Il serait alors possible d’acheter, sur les marchés locaux, de la nourriture moins chère et mieux adaptée aux habitudes alimentaires des populations concernées.
Après le tsunami en Indonésie et au Sri Lanka, le PAM a recensé 2 millions de personnes en grave pénurie alimentaire. Les plus importants donateurs promirent des dizaines de milliers de tonnes de dons en nature, alors que la plupart des récoltes locales n’avaient pas été affectées par la catastrophe. Les survivants avaient tout perdu et besoin de nourriture, mais il aurait été plus logique de l’acheter sur les marchés locaux. Il aurait probablement même été mieux encore de fournir une assistance financière directement aux populations afin qu’elles puissent acheter la nourriture elles-mêmes.
Les nouvelles réglementations de l’OMC doivent permettre à l’aide alimentaire d’aller là où elle est vraiment essentielle. Parallèlement, les donateurs doivent s’engager à combattre la faim en remplaçant les réductions d’aide alimentaire en nature par une aide financière plus importante. Les modifications des règles de l’OMC ne doivent pas servir de prétexte à réduire le montant global de l’aide alimentaire.
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Barbara Stocking est directrice générale d’Oxfam GB, Mike Aaronson est directeur général de Save the Children GB, Benoît Miribel est directeur général d’Action contre la faim.
Article paru dans l’édition du 03.06.05
2.6.05
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