Outre l’aspect iconoclaste de cette affirmation, plusieurs éléments amènent à penser que le mouvement Al Qaïda, organisateur de toute une série d’attentats entre 1995 et 2001, n’existe plus. D’abord, nous reconnaîtrons quelque succès aux opérations de la coalition anti-terroriste en Afghanistan, le premier étant certainement la disparition du gouvernement des Talibans et de la sécurité qu’il offrait à “la base”. Les opérations policières en Europe et en Amérique du Nord, auxquelles s’ajoutent les actions des services spéciaux à travers le globe, ont sérieusement entamé la coordination de cette toile terrorisme dont les médias ont fait le nouvel Empire menaçant un Occident de plus en plus dubitatif. Il est vrai que les opérations d’information américaines confirment les opinions publiques dans leur croyance.
Deux nouvelles, en provennace des Nations-Unis, laissent toutefois à penser que la recherche d’un nouveau “communisme” contre lequel bâtir une société occidental en perte de projet n’était rien d’autre qu’un autre “désert des Tartares”. Mardi 7 septembre, le secrétaire général, Kofi Annan, a fait état de l’expansion constante des opérations de maintien de la paix des Nations unies à travers le monde, tant en nombre qu’en magnitude, ce qui amène les capacités de l’Organisation des Nations unies (ONU) près du point de rupture :
“La demande accrue pour des opérations de maintien de la paix des Nations unies qui s’est matérialisée en 2004 représente un défi sans précédent depuis les rapides augmentations constatées dans l’étendue et la complexité de ces opérations dans les années 1990, estime M. Annan dans le rapport annuel des l’organisation. Cette demande accrue va solliciter, jusqu’à leur limite et au-delà, la capacité des Nations unies à y répondre.”
Au début de l’année, les unité de paix de l’ONU étaient présentes dans treize pays, a-t-il précisé. Depuis, l’organisation a étendu sa mission en Côte d’Ivoire, commencé de nouvelles opérations au Burundi et à Haïti, et envisage des opérations nouvelles ou étendues en Irak et au Soudan. Plus de 50 000 déjà en place sur le terrain en 2004, auxquels 30 000 autres devraient se joindre. Cela ferait passer leur nombre au-dessus de leur niveau record de 78 000, atteint en 1993. Selon M. Annan, même si ces chiffres devraient pouvoir être atteints, "d’importants manques" subsistent dans certains domaines-clés, tels la réponse rapide, les capacités militaires spéciales et la police civile francophone.
Reste aussi la question de la mission des Casques bleus. Depuis l’époque de la Guerre froide avait déjà montré, hors le cas de la Corée, qui restera un cas exceptionnel, ils sont cantonnés à des missions d’interposition, ce qui revient à en faire des cibles désarmées pour chaque camp. Les missions au Liban, depuis 1976, ou en Bosnie, depuis 1995, l’ont bien démontré. A chaque fois, il a fallut recourrir à l’intervention militaire effective, hors ONU, qu’elle soit nationale (française, américaine, isréalienne) ou internationale (OTAN) pour mettre fin, provisiòirement, aux exactions contre le personnel de l’ONU. L’autre problème, résultant de la fin de la lutte des Blocs, tient en la participation aux contingents des Nations-Unies de pays qui n’ont pas les moyens d’avoir une armée digne de ce nom. Le tiers-monde, chez qui les Casques bleus venus d’Europe s’étaient naguère interposés, est maintenant projetté sur les théâtres d’intervention de l’ONU. Une raison à cela : avec la stagnation, sinon la baisse, de l’aide internationale depuis que leurs économies se sont faiblement développées, ces pays pauvres y trouvent une source de financement originale. Même si les soldes versées par New York retsent forfaitaires, elles sont établies en fonction des standards occidentaux. Et les militaires de ces nations pauvres continuent de percevoir leur solde, comme s’ils étaient au pays… La différence est intégrée au budget de l’Etat, si ce n’est à celui des dignitaires au pouvoir. Conséquence pour les autres contingents, mieux équipés et mieux formés, ils doivent s’interposer entre les factions en guerre, comme le stipule leur mission, et protéger les troupes qui sont affectées à cette mission…
“Cette hausse de la demande d’opérations de paix de l’ONU est un signe bienvenu de nouvelles occasions pour la communauté internationale d’aider à trouver des solutions pacifiques aux conflits, poursuit M. Annan. Toutefois, ces occasions ne peuvent être vraiment saisies que si les contributions nécessaires en ressources politiques, financières et humaines sont faites.” Ces opérations de maintien de la paix cristalisent en fait les situations belligènes plutôt qu’elle ne les résolvent. Elles rejoignent au rayon des pis-aller politiques la “guerre contre le terrorisme”.
Lors de la conférence bisannuelle de la Commission internationale de juristes (CIJ), vendredi 27 août, à Berlin, d es juristes internationaux, dont le haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Louise Arbour, ont dénoncé les mesures de la lutte mondiale contre le terrorisme, accusées de nuire aux libertés individuelles et aux droits humains. Mais la politique de lutte antiterroriste est également considérée comme inefficace dans un rapport adressé au Conseil de sécurité des Nations-Unies. “Le terrorisme fait des victimes. Et la lutte contre le terrorisme fait de nouvelles victimes. Quelque chose ne va pas”, a résumé le Britannique Nicholas Howen, secrétaire général de la CIJ. Il s’en est pris aux législations mises en place après le 11-Septembre, qui légitiment des pratiques dangereuses pour les libertés : “La ‘guerre contre le terrorisme’ est plus qu’un ensemble de lois spécifiques. C’est une façon de penser. Un discours troublant (…) prétend que les droits et les libertés sont un inconvénient et interfèrent avec la sécurité.”
Dans le cas des détenus de la base de Guantanamo, "l’armée aura à la fois le rôle d’enquêteur, de procureur, d’avocat, de juge et, quand les peines de mort seront prononcées, de bourreau", a-t-il ajouté, citant le Lord britannique Johan Steyn. Louise Arbour, haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, a relevé que "l’urgence à lutter contre le terrorisme a mené des Etats à introduire une série de procédures nouvelles et parfois troublantes". Par exemple, "au Royaume-Uni, si une personne soupçonnée d’être un terroriste international ne peut être expulsée, par crainte de mauvais traitements à l’étranger ou toute autre raison, cette personne restera indéfiniment en détention, sans mise en accusation ou jugement". Elle a ajouté que certaines demandes d’extradition déposées par les Etats-Unis à l’égard de personnes soupçonnées d’être des terroristes pouvaient être en contradiction sur plusieurs points avec des législations nationales.
En Asie, l’Indonésie a été amenée à voter plusieurs lois antiterroristes après l’attentat de Bali qui avait fait 202 morts en octobre 2002, comme l’a rappelé le juriste Adnan Buyung Nasution, membre de la CIJ. En application de ces lois, “des professeurs religieux et des activistes islamistes accusés d’être impliqués dans l’explosion de Bali ont été arrêtés ou, plus exactement pris en otages. Leurs familles n’étaient pas du tout informées de leur sort et de la durée de leur détention”. Remarquant également le manque d’efficacité de ces pratiques, il a souligné que "plusieurs semaines après, il s’est avéré qu’ils avaient été arrêtés par la police. Ils furent relâchés par manque de preuve". A Taïwan, un projet de loi discuté par le Parlement propose de pouvoir mettre sur écoute les étrangers uniquement sur demande des services d’espionnage, alors que la demande d’un juge est obligatoire pour mettre sur écoute des citoyens taïwanais.
En Afrique, “des gouvernements comme le nôtre n’ont jamais respecté les droits de l’homme de gaieté de cœur ou spontanément, mais ils l’ont fait sous la pression d’abord de l’opinion internationale”, a affirmé Mahamat Hassan Abakar, président de l’Association tchadienne des juristes. Mais il s’est inquiété des conséquences de la nouvelle situation globale sur le continent : “Lorsque cette pression se relâche, comme c’est le cas maintenant, il n’y a aucun doute que les violations des droits de l’homme connaîtront à nouveau un essor déplorable. Surtout qu’aujourd’hui le mauvais exemple vient de l’Occident, notamment des Etats-Unis.”
Au-delà des condamnations relatives à la mise en danger des libertés, c’est l’ensemble de la logique antiterroriste qui est remise en question. Selon un rapport de l’ONU publié jeudi, les sanctions internationales mises en œuvre pour entraver les actions du réseau Al Qaïda seraient inefficaces. Les auteurs du rapport critiquent la plupart des hypothèses et des mesures prises dans la guerre contre le terrorisme, y compris les efforts entrepris pour priver les réseaux du terrorisme de ressources financières. Mais, hormis les attentats du 11 septembre 2001, la plupart des attaques n’ont pas demandé beaucoup d’argent : moins de 50 000 dollars pour l’attaque contre les ambassades américaines du Kenya et de Tanzanie en 1998 et les attentats de Bali en 2002 ; 30 000 dollars pour l’explosion de l’hôtel Marriott à Djakarta ; et moins de 40 000 dollars pour les attentats d’Istanbul en novembre 2003. Par contre, Al Qaïda et ses partisans sont passés maîtres dans l’art d’utiliser les médias “pour développer leurs soutiens dans le monde islamique, en capitalisant la colère provoquée par la guerre contre l’Irak, et ils continuent « à chercher à acquérir des armes chimiques et biologiques”.
Réalisé par des experts indépendants, ce rapport donne une triste image de pays qui sont très en retard dans la lutte contre le terrorisme ou qui n’ont pas la volonté d’aller au-delà des mesures bureaucratiques minimales pour démontrer leur bonne foi dans ce combat. Adressé au Conseil de sécurité de l’ONU, le rapport affirme que "la menace de terrorisme liée à Al Qaïda reste aussi grande que jamais, mais la nature de cette menace a changé". Les experts ont estimé que "les perspectives de voir une fin rapide du terrorisme liée à Al Qaïda “sont nulles”. Pour sa part, lundi 30 août, George Bush avait déclaré qu’il “doutait” que l’Amérique puisse un jour “gagner la guerre” contre le terrorisme. En utilisant des ressources minimales et en exploitant leur publicité mondiale, (les terroristes) ont réussi à créer l’impression d’une crise internationale". Sans véritable cohésion entre-eux, les différents groupes en œuvre dans le monde perpétuent le mythe d’un Al Qaïda omniprésent. Les efforts pour bloquer les ventes d’armes et les mouvements de personnes suspectes de terrorisme se sont révélés inefficaces, ne couvrant pas celles le plus communément employées par les terroristes. Les attentats de Madrid en mars dernier contre quatre trains de banlieue avaient été perpétrés avec des explosifs traditionnels reliés à des téléphones portables. Lles experts ont rappelé que le Conseil de sécurité avait estimé, dès octobre 1999, qu’Al Qaïda méritait une riposte coordonnée au niveau mondial, soit deux ans avant les attentats du 11 septembre 2001.
Après les attentats contre le World Trade Center à New York et le Pentagone à Washington, le Conseil de sécurité avait adopté une résolution requérant tous les pays membres de l’ONU de geler les ressources, de restreindre les déplacements et d’empêcher les ventes d’armes à tout individu ou groupe suspect de terrorisme. Les experts ont constaté cependant qu’aucune nation n’a jusqu’ici fait état d’avoir stoppé des ventes d’armes ou empêché les déplacements de personnes placées sur la liste noire de l’ONU. Selon eux, “cette liste a commencé à perdre de sa crédibilité”. D’autant qu’il manque le plus souvent les données d’identification de base comme la date de naissance, la nationalité, le numéro du passeport, ce qui rend tout action “virtuellement impossible”. Dix-neuf pays seulement ont fait état de la présence de groupes liés à Al Qaïda sur leur sol, bien que leur nombre soit en fait plus grand, et trente-quatre pays ont signalé qu’ils avaient gelé des ressources financières de suspects. Les rapports fournis par les Etats ne sont pas clairs. La plupart du temps, “on ne sait pas de quelle sorte d’avoirs il s’agit, leur valeur ou à qui ils appartiennent“. Ainsi les avoirs de suspects de terrorisme gelés en Azerbaïdjan s’élèvent à 33 euros et ceux gelés au Portugal à 325 euros. Ils ont aussi relevé que les sanctions sur les ventes d’armes
En fait, c’est tout le dispositif de la lutte antiterroriste qui serait à revoir. Le régime de sanctions imposé par le Conseil de sécurité n’a eu qu’“un impact limité”, l’ONU comme la communauté internationale ayant, inévitablement, “réagi aux événements”, alors qu’Al Qaïda, ou tout autre groupe terroriste, avait montré une grande flexibilité et une capacité d’adaptation lui permetant d’avoir “un coup d’avance”. Le propre de la menace terroriste est de frapper là où on l'attend pas, quand on ne l'attend pas. Alors, rattacher toute explosion devant une ambassade, dans une école, dans un train où ailleurs à Al Qaïda a quelque chose de rassurant dans un monde occidental largement démobilisé... et déchristianisé.
9.9.04
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