10.9.04

Au lendemain de Djakarta

Une réflexion en passant sur le traitement médiatique de la menace terroriste. Par médiatique, il convient d’entendre deux choses : d’abord, le compte-rendu factuel par les journalistes ; ensuite, il convient de ne pas sous estimer l’importance de “spin system”, dont l’affaire Kelly a révélé l’importance et le poids sur les opinions publiques.
Reprenons : une bombe de forte puissance explose devant l’ambassade d’Australie en Indonésie. Le chef de la police de Djakarta, Firman Gani, n'exclu pas qu'il s'agisse d'un attentat suicide. Le chef de la police indonésienne, le général Da'i Bachtiar, estime pour sa part que l'attentat portait la marque d'Azahari Husin, recherché notamment pour son rôle dans les attentats de Bali, qu'il aurait planifiés. L'attentat de jeudi rappelle fortement ceux de Bali en octobre 2002, qui avaient fait 202 morts, et celui contre l'hôtel de luxe Marriott de Djakarta en août 2003, qui avait fait 12 victimes. Les deux officiers étaient d’accord pour dire que l’attentat était, encore une fois, le fait de la Jemaah Islamiah.
Cette organisation islamique avait été formée par deux religieux indonésiens au milieu des années 1980. Tandis qu’Abu Bakar Ba'asyir était le guide spirituel du groupe, plusieurs les agences de renseignement du sud-est asiatique estiment qu'Abdullah Sungkar organisait son développement politique et stratégique. Sa stratégie d’alliances avec les autres organisations séparatistes et terroristes régionales les préoccupaient, notamment avec la philippine Abu Sayyaf, créée par les officiels américains en 1992 afin de contrer le sécessionniste du Front islamique de libération nationale Moro. Ces groupes avaient besoin de financements. Les enlèvements de touristes et de journalistes étrangers étaient une solution largement appliquée. L’aide des fondations panislamistes était également prisée. Avant le 11 septembre 2001, les médias s’inquiétaient surtout de la forte implication libyenne… Depuis, on se souvient qu’au milieu des années 1990, Sungkar aurait noué des relations avec Oussama bin Laden. Même chose avec Abu Sayyaf, liée à Al Qaïda alors que les services de Manille sont incapables, malgré l’aide massive de “conseillers militaires” américains, de le prouver avec certitude.
La couverture de l’attente de Djakarta a donné lieu à quelque bonne démonstration de l’incertitude de la menace d’Al Qaïda, malgré l’évidence de la menace destabilisatrice en activité en Asie du sud-est. Du soupçon de lien de la Jemaah Islamiah à Al Qaïda à son affirmation, les commentaires sont passés par toutes les teintes possibles pour l’accréditer. Comme si le label de l’organisation de feu (?) Oussama bin Laden était aujourd’hui un gage d’intégrité terroriste ! Ce qui reste d’Al Qaïda a très bien compris le parti à tirer de cette sanctification médiatique. A deux jours du troisième anniversaire des attentats du 11-Septembre, le numéro deux d'Al Qaïda, Ayman Al-Zawahiri, a prédit dans une vidéo, diffusée jeudi 9 septembre sur Al Jazira dont la date d'enregistrement n'a pas été précisée, une "défaite" américaine proche en Irak et en Afghanistan en affirmant que ses miliciens contrôlaient l'est et le sud afghans. Il a également dénoncé des plans destinés à déchirer le monde arabo-musulman, dont la péninsule Arabique, l'Egypte et le Soudan, a ajouté Al Jazira, précisant que le bras droit de Ben Laden a évoqué le conflit du Darfour, dans l'ouest du Soudan.
Cette conjonction informative a fait passer à l’arrière-plan la raison de cet attentat, à savoir cette cible australienne. Puisque la patte d’Al Qaïda est ainsi mise en avant, il est clair que c’est en raison de sa participation à l'invasion de l'Irak aux côtés des Etats-Unis que l’Australie était visée. Comme l’Espagne en mars dernier, elle redoutait de possibles attaques à l'approche des élections législatives. Le but visé serait de tenter d'influer sur le vote, comme cela s'est produit en mars 2003 à Madrid où des attentats ont fait près de 200 morts. L'opposition travailliste australienne s'est engagée à retirer les troupes d'Irak en cas de victoire. L'attentat survient également à deux jours de l'anniversaire des attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis. Voilà pour la symbolique.
L’internationale terroriste islamique, transposition dans le langage diplomatique de l’internationale terroriste de la Guerre froide était à l’œuvre. Mais comment s’articulent les liaisons entre les tchétchènes Brigade islamique internationale de maintien de la paix, Régiment Islamique à but spécial et Riyadus-Salikhin (bataillon de reconnaissance et de sabotage des martyrs Tchétchènes), les turcs Islami Büyük Dogu Akincilar-Cephesi et Hizballah, les algériens Groupe islamique armé et Groupe salafiste pour la prédication et le combat, le Groupe combattant tunisien, les Groupes libyen et marocain de combattants islamiques, l’Armée islamique d’Aden, les égyptiens Al Jihad et Al Gama'a al Islamiyya, le somalien Al Ittihad al Islami, les libanais Asbat al Ansar et Hezbollah, la Brigade des martyrs d’al Aqsa, le Hamas, le Jihad islamique palestinien, le Front de libération de la Palestine, le Front populaire de libération de la Palestine-Commandement général, l’irakien Ansar al-Islam, l’iranienne Organisation Mujahedin-e Khalq, les indiens Hizb ul-Mujahedin, Al-Badr, Harakat ul-Mujaheddin, Lashkar-i-Taiba, et Jaish-e-Muhammad, les pakistanais Sipah-I-Sahaba, Jamiat ul-Mujahedin, Lashkar I Jhangvi et Harakat ul-Jihad-I-Islami, l’afghan Hizb-I Islami, les Mouvements islamiques d’Ouzbekistan, du Turkestan oriental, Abu Sayyaf, Jemaah Islamiah, Kumpulan Mujahidin Malaysia, Harakat ul-Jihad-I-Islami-Bangladesh ? Le lien avec Al Qaïda semble ténu et facile d’explication. L’humiliation subie par les Arabes et les musulmans lors de la Première Guerre du Golfe est plus judicieuse, mais toujours incomplète. Il convient encore de rajouter les frustrations sociales et politiques inhérentes à chaque région, les séquelles de décolonisations mal accomplies, les néo-colonialismes indien, indonésiens, australiens…
Penchons-nous maintenant vers l’idéologie de la Jemaah Islamiah. Ses propres buts de guerre ne seraient-ils pas plus crédibles que l’internationale terroriste islamique que Washington et ses alliés cherchent à faire apparaître ? Comme si l’Armée islamique en Irak était intéressée par la question du voile islamique en France lorsqu’elle a enlevé deux journalistes occidentaux, qui se sont révélé être Français… La Jemaah Islamiah prône la création d'un super-Etat islamique dans une bonne partie du Sud-Est asiatique, du sud de la Thaïlande, à travers la péninsule Malaise (y compris Singapour), l’archipel indonésien et au sud des Philippines. Cela expliquerait ses alliances stratégiques avec le Kumpulan Mujahidin Malaysia, le Front islamique de libération nationale Moro, le groupe militant indonésien Laskar Jihad…Des revendications, même si elles restent non prouvées, incluraient également le nord de l’Australie… Non prouvée ? Et si les attentats multiples contre la présence australienne dans la région, qui se fait de plus en plus visible depuis qu’elle est intervenue, pour le compte des Nations Unies au Timor oriental, étaient cette preuve !

Aucun commentaire: