5.1.05

Guantanamesque

La chronique d'Eric Fottorino

LE MONDE | 05.01.05 | 13h34


Que se passe-t-il à la prison de Guantanamo ? La question peut sembler saugrenue alors que les feux de l'actualité demeurent braqués sur les pays victimes du tsunami. On parle un peu des morts en Irak, où la violence est à son comble. Quant au sort des prisonniers soupçonnés de terrorisme et détenus pour certains depuis près de trois ans, il reste en suspens, dans un no man's land du droit, à l'écart des conventions de Genève et de toute notion d'humanisme.
Depuis le début de l'année, la presse américaine se fait pourtant l'écho de témoignages accablants quant à l'attitude des autorités militaires à l'égard des 550 détenus du camp. Notre confrère Le  Figaro citait dans son édition de mardi des récits publiés le 1er janvier dans le New York Times. A en croire les spécialistes du renseignement militaire et autres rois de l'interrogatoire en force, les méthodes employées naguère dans la prison irakienne d'Abou Ghraib n'ont pas cessé.
"Elles incluent le menottage prolongé dans des positions douloureuses, rapporte le correspondant du Figaro à Washington, les privations de sommeil, l'exposition à des musiques assourdissantes, à des hurlements de bébés ou à des miaulements de chats, parfois jusqu'à laisser les détenus s'arracher les cheveux ou se souiller de leurs excréments."
Autre pratique pour le moins sadique : des prisonniers à qui on a bandé les yeux au préalable ont été emmenés en avion, soi-disant vers des pays si peu regardants sur les droits de l'homme que leur vie pouvait être mise en danger. Cette intimidation était un leurre : les détenus étaient en réalité ramenés sans le savoir à Guantanamo...
De son côté, l'hebdomadaire britannique The Observer vient de se faire l'écho des tortures infligées à un détenu anglais. Ses avocats affirment qu'il a subi la méthode "strappado", une technique habituelle des dictatures d'Amérique latine. Le prisonnier est suspendu à une barre par les menottes, jusqu'à ce que le métal de celles-ci entaille ses poignets.
Pour corser le tout, on a appris par le Washington Post que l'administration Bush réfléchissait à un statut d'exception pour des prisonniers soupçonnés de terrorisme. Bien que les preuves manquent pour les confondre, ils pourraient rester enfermés à vie sans procès aux Etats-Unis ou dans leurs pays d'origine, à l'intérieur de geôles que les Américains se chargeraient de construire. On ne sévit jamais aussi bien que par soi-même... Ce projet concernerait des détenus afghans, saoudiens et yéménites.
Où est le droit ? Où sont les protections élémentaires dont peut bénéficier tout homme en prison ? C'est sans doute ce que demanderont, jeudi 6 janvier, les membres du Congrès, qui recevront l'ancien conseiller juridique de la Maison Blanche Alberto Gonzales, dont George Bush a fait son nouvel attorney general, quelque chose comme un ministre de la justice.
On se pince légèrement en essayant de réaliser que ce haut responsable, chargé de dire le juste, a lui-même élaboré la théorie selon laquelle les attentats terroristes du 11 septembre 2001 autorisaient les méthodes musclées d'interrogatoire. Les militaires n'ont pas eu besoin qu'on leur fasse un dessin, avec les dérives que l'on sait.
Tout cela paraît ubuesque ou dantesque, ou alors, tant qu'on y est, guantanamesque.

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 06.01.05

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