26.1.05

L'armée américaine souffre de graves problèmes de budget et d'effectifs

LE MONDE | 26.01.05 | 15h35


"Toutes les forces américaines sont en guerre, et c'est une situation qui, bien évidemment, engendre du stress pour les soldats", explique Lawrence DiRita, porte-parole du Pentagone, dans un entretien téléphonique au Monde. "Mais l'armée américaine est toujours en état de recruter ; elle est capable aussi de retenir ceux qu'elle souhaite retenir, et cela en dit long sur le moral des troupes. L'armée est engagée dans la guerre globale contre le terrorisme, qui ne se limite pas à l'Irak et à l'Afghanistan, et je pense que chaque soldat a le sentiment de défendre les Etats-Unis et la liberté", ajoute-t-il.
Cet optimisme tranche avec les cris d'alarme de généraux et parlementaires américains, comme avec les demandes de troupes supplémentaires formulées par les responsables des opérations militaires en Irak. La réalité est que le conflit irakien pèse lourdement sur les effectifs et les finances de l'armée, et qu'il engendre des réactions de plus en plus négatives au sein de l'opinion publique américaine, même si celle-ci soutient encore largement les choix militaires du président George Bush. "Le leitmotiv américain, explique un officier français, est "Mieux vaut combattre le terrorisme en Irak que dans les rues de New York", et cela marche."
Des cas, certes encore isolés, sont rapportés par la presse américaine de réservistes qui n'ont pas répondu à l'appel, qui émettent de sérieux doutes quant à leur préparation militaire pour affronter les combats de haute intensité se déroulant en Irak, ou de soldats qui ont porté plainte contre la prolongation de leur séjour. Dans un mémorandum adressé au Pentagone et qui a provoqué des remous à Washington, le général James Helmly, chef des forces de réserve de l'armée de terre, écrit que les guerres de l'Amérique en Afghanistan et en Irak empêchent la réserve de remplir correctement ses missions.
"Elle est en grave danger d'être incapable de remplir d'autres exigences opérationnelles, et dégénère rapidement en une force inopérante", assure-t-il. Sur les quelque 150 000 soldats américains aujourd'hui présents en Irak, près de 60 000 hommes sont fournis par la réserve de l'armée de terre et par la Garde nationale, deux unités de soldats à mi-temps.
Selon une étude réalisée par le département de la défense, près de la moitié des 55 800 réservistes interrogés ont estimé que leurs unités "n'étaient pas bien préparées" aux missions de guerre. Début décembre, plus de la moitié des quelque 4 000 réservistes rappelés ont demandé des reports, des exemptions, ou n'ont pas répondu à l'appel.
Le bilan de plus en plus lourd des victimes américaines en Irak (1 226 morts et quelque 10 000 blessés) explique ce peu d'enthousiasme. La réserve et la Garde nationale représentent 1,23 million d'hommes aux Etats-Unis, contre 1,43 million de soldats d'active. Quelque 200 000 gardes nationaux américains ont été "activés" depuis le début de la guerre en Irak (ce qui ne veut pas dire qu'ils ont été envoyés au combat), un chiffre sans précédent depuis la guerre du Vietnam, où seulement 5 000 d'entre eux avaient combattu.
Le général Helmly explique que l'on a tardé à mobiliser les réservistes, qu'on l'a finalement fait dans l'urgence puis qu'on a démobilisé prématurément, ce qui a obligé à rappeler les mêmes hommes au bout de trois mois. Il s'insurge en outre contre la politique consistant à récompenser par une prime de 1 000 dollars (770 euros) par mois ceux qui acceptent d'être remobilisés.
" Nous créons une confusion entre l'état de "volontaire pour devenir un soldat américain" avec celui de "mercenaire". Se servir de primes pour susciter le volontariat provoquera -chez les recrues- des exigences financières permanentes lors de futurs conflits", écrit-il.
D'autres exemples montrent que l'usage de bonus financiers est devenu systématique pour conserver et attirer un nombre suffisant de soldats. La prime attribuée à ceux qui acceptent de servir six années d'affilée va passer de 5 000 dollars pour la Garde et 8 000 dollars pour la réserve à 15 000 dollars (11 540 euros).
"Nous avons toujours fait cela aux Etats-Unis, où tous nos soldats sont volontaires", explique le porte-parole du Pentagone. "C'est comme dans le secteur privé, ajoute-t-il, quand vous avez besoin de gens, vous les payez."
Ce système ne choque pas les experts militaires français. "C'est tout le problème de l'armée de métier, remarque l'un d'eux, qui pose celui de la motivation et de l'engagement ; les soldats ne sont pas insensibles aux primes de recrutement." Cela n'a pas empêché le recrutement de la Garde nationale de chuter de 30 % en octobre et novembre 2004, incitant ses chefs à engager 1 400 recruteurs supplémentaires. Pour faire face aux besoins croissants de l'Irak, 30 000 soldats supplémentaires ont été temporairement enrôlés dans l'armée active, mais il est fortement question que cette décision devienne définitive.
Héritage de la guerre froide, l'armée américaine est trop dépendante de la réserve. "La façon dont les forces américaines sont structurées fait que nous ne pouvons pas mener une guerre sans faire appel à la réserve. Dans le monde qui nous entoure, reconnaît M. DiRita, ce n'est peut-être pas le meilleur modèle pour l'armée américaine."
Le nouveau "modèle" se concrétise sous l'impulsion de Donald Rumsfeld, secrétaire à la défense. C'est le vaste exercice de transformation de l'armée, qui consiste à renoncer à des divisions nombreuses, fortement mécanisées et disposant d'un armement lourd, pour former davantage de brigades légères et rapidement déployables.
Cette évolution justifie en partie la cure d'amaigrissement que vont subir les grands programmes d'équipement des armées (hélicoptère Comanche, avion de combat F/A 22, un porte-avions, deux destroyers, plusieurs sous-marins, etc.). Mais cette restructuration est rendue plus nécessaire encore par l'inflation des coûts de la guerre d'Irak.

Laurent Zecchini
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 27.01.05

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