3.2.05

Accusée du cambriolage de la Northern Bank, l'IRA décide de suspendre son désarmement

LE MONDE | 03.02.05 | 14h07

Londres de notre correspondant

Le processus de paix en Irlande du Nord, dans l'impasse, a subi, mercredi 2 février, un nouveau coup très sévère. Il pourrait paralyser longtemps l'effort tenace déployé par Londres et Dublin pour restaurer les institutions semi-autonomes en Ulster et le partage du pouvoir entre catholiques et protestants.
Dans un communiqué au ton ferme, l'Armée républicaine irlandaise (IRA) a annoncé, mercredi soir, qu'elle "retirait de la table des négociations" toutes les propositions qu'elle avait faites, notamment son offre d'achever le démantèlement de son arsenal militaire, entrepris tardivement en octobre 2001, en application des accords de paix, dits du Vendredi-Saint (avril 1998). Cette décision spectaculaire ruine le travail mené depuis plusieurs années par les gouvernements britannique et irlandais. Elle fait régresser le dossier nord-irlandais au stade où il se trouvait avant le début des opérations de désarmement de l'IRA. Ce recul est d'autant plus affligeant que plusieurs rounds de discussions avaient suscité l'espoir, à l'automne 2004, d'un règlement définitif de ce conflit séculaire.
En décembre 2004, la perspective d'une paix durable semblait imminente. Jamais catholiques et protestants n'étaient parvenus aussi près d'un accord cohérent et détaillé, alors même que les deux communautés étaient conduites par deux hommes, le révérend Ian Paisley, chef du parti DUP, et Gerry Adams, chef du Sinn Fein, l'aile politique de l'IRA, qui avaient été des ennemis mortels depuis trente ans et qui ne se sont jamais adressé la parole.
Mais l'accord avait échoué sur un jeu de photos, celles prouvant que l'IRA aurait bien mis hors d'usage, le jour venu, tout son arsenal militaire. Cette exigence d'une preuve visuelle du désarmement de l'IRA avait été émise par Ian Paisley, et rejetée par le Sinn Fein. Tout en respectant le cessez-le-feu qu'ils ont décrété en 1997, les républicains refusent tout ce qui mettrait trop en lumière le fait qu'ils n'ont pu accomplir leur objectif historique : réunifier l'Irlande par la violence, après 3 500 morts. D'où leur rejet d'une "humiliation" photographique.
La crise a rebondi à la suite du hold-up, le 20 décembre 2004 à Belfast, de la Northern Bank, où furent volés quelque 38 millions d'euros. Il s'agit du plus important cambriolage de l'histoire criminelle des îles britanniques. Très vite, Londres et Dublin, s'appuyant sur des informations policières, ont accusé l'IRA d'avoir commis ce vol, et ont renouvelé depuis cette accusation, catégoriquement démentie par l'IRA, avec le soutien du Sinn Fein. "A mon avis, l'IRA n'est pas impliquée", répète Gerry Adams.

"OBSTACLE À LA PAIX"

Depuis une semaine, le ton était monté. Le 28 janvier, Tony Blair avait, pour la première fois, évoqué l'hypothèse où le Sinn Fein pourrait être tenu à l'écart des négociations, voire d'une administration de la province, s'il ne persuadait pas l'IRA de mettre fin à "ses activités criminelles". Celles-ci, ajoutait-il le 1er février, sont devenues "le principal obstacle à la paix". De son côté, M. Adams déclarait qu'il n'entendait "recevoir aucune leçon" du premier ministre, et que le Sinn Fein "ne s'excuserait auprès de personne".
Plus grave encore : le premier ministre irlandais, Bertie Ahern, a accusé, mercredi, les dirigeants du Sinn Fein d'avoir été informés à l'avance de quatre cambriolages commis par l'IRA depuis un an, dont le casse du 20 décembre 2004, et de les avoir approuvés. L'IRA est accusée d'avoir dérobé deux cargaisons de plusieurs millions de cigarettes en décembre 2003 et en octobre 2004, et d'avoir attaqué un supermarché en mai 2004. Les deux chefs du Sinn Fein, Gerry Adams et son adjoint Martin McGuinness, sont présumés appartenir depuis les années 1970 au haut commandement de l'IRA, qui comprend sept membres.
Dans son communiqué de mercredi, l'IRA affirme que "la paix ne peut être fondée sur des ultimatums et de fausses accusations", et ajoute : "Nous n'avons pas l'intention de rester muets dans cette situation inacceptable. Notre patience est arrivée à son terme." Mais elle ne brandit aucune menace de retour à la violence armée. Gerry Adams accuse Londres et Dublin "d'avoir choisi l'affrontement" tandis que Ian Paisley voit dans la décision de l'IRA la preuve qu'"elle n'a jamais eu l'intention de renoncer à son empire criminel".
Reste à savoir pourquoi l'IRA a décidé de jouer aussi gros, en organisant le casse de Belfast, et pourquoi le Sinn Fein a pris un tel risque politique. Plusieurs hypothèses circulent. Les cambrioleurs auraient été, au moment du hold-up, surpris par l'énormité des sommes volées après que le Sinn Fein n'eut donné à l'IRA qu'un aval de principe, sans connaître les futurs détails de l'opération. Il est possible aussi que les deux chefs du Sinn Fein ne soient plus à même de contrôler les durs de l'IRA. Il est vrai qu'ils ont aussi intérêt à faire accréditer cette thèse, qui les disculperait en partie.
Enfin, l'IRA a peut-être exécuté ce cambriolage pour envoyer un message exprimant son mécontentement du tour pris par le processus de paix, comme elle le fit déjà dans le passé, dans le cadre de ce qu'elle appelle sa "doctrine de l'usage tactique de la lutte armée". Quelle que soit l'explication de ce recours à la politique du pire, celle-ci jette un énorme doute sur la sincérité de la conversion du Sinn Fein à la logique de paix, mine la confiance péniblement instaurée avec Londres et Dublin, et ajourne sine die la réconciliation entre catholiques et protestants.

Jean-Pierre Langellier
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 04.02.05

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