3.2.05

L’obsession démocratique

La diplomatie a cela de commun avec les cours de récréation, c’est qu’après la bagarre, on redevient forcément des amis. Le président Bush en a fait la démonstration dans le rendez-vous annuel qu’est le discours sur l’état de l’Union. Il a suffi de la tenue d’élections en Irak, sans vraiment de désagréments terroristes, et d’une reprise du dialogue israélo-palestinien, après des élections palestiniennes démocratiquement organisées sous occupation militaire, pour qu’il ressorte de son cartable son projet de Grand Moyen-Orient. « Pour promouvoir la paix et la stabilité dans le Grand Moyen-Orient, les Etats-Unis travailleront avec nos amis dans la région pour combattre la menace commune posée par le terrorisme, tout en encourageant une élévation du niveau de vie », a-t-il martelé.
Cette idée prend ses racines dans la droite ligne du conservatisme américain, baigné de croyances simplistes en un christianisme de bazar et auréolé des substrats de la culture américaine, la liberté et la démocratie. George Bush et son administration sont des croisés de la liberté et de la démocratie, même si leur conception n’est pas unanimement partagée, même aux Etats-Unis. Depuis la deuxième guerre d’Irak, cette équipe, dont les figurants ont bien changé, mais pas les acteurs principaux (Bush Jr, Rice, Cheney, Rumsfeld), a pour principe d’imposer ces idées, même à ceux qui ne le veulent pas. Comment ne pas vouloir la démocratie ? Est-ce possible à comprendre quand, depuis le Texas ou le Nebraska, on a le sentiment d’appartenir à la nouvelle civilisation, une nouvelle Athènes qui aurait conquis Rome et Jérusalem.
L’unilatéralisme américain n’est pas celui que l’on croit. Il ne tient pas à une vision du monde de l’après-Guerre froide. Il tient à un appauvrissement culturel des élites ; l’Europe, de ce point de vue, n’est pas mieux lotie. Le classicisme de la pensée libérale a été dévoyé par l’opulence hollywoodienne, qui a construit un monde de super-héros défenseur de la démocratie et de la liberté, au rang desquels Georges W. Bush a été promu après le 11 septembre 2001. Les déballages électoraux de Michael Moore, qui ont réjoui les intellectuels européens sombrant une nouvelle fois dans un anti-américanisme des plus primaires (comme s’il pouvait y en avoir d’autre d’ailleurs), n’ont fait que renforcer cette vision messianique de l’administration américaine. La preuve, encore hier soir, le chef de l’Etat le plus puissant militairement, économiquement et culturellement, annonçait à son peuple, et par-delà à tout l’Empire, aux comptoirs, jusque dans les confins les plus oubliés des « Terra incognita » : « Pour promouvoir la paix au Moyen-Orient, nous devons affronter les régimes qui continuent d’abriter des terroristes et cherchent à se doter d’armes de destruction massive ».
La croisade médiatique autour de cette obsession démocratique reprend les poncifs de la préparation de guerre contre l’Irak. Les « rogues states » restent les mêmes : « Au peuple Iranien, je dis ce soir : vous qui voulez votre propre liberté, l’Amérique est à vos côtés. (…) L’Iran reste le principal Etat dans le monde à soutenir le terrorisme ». Mais, au Moyen-Orient, les « bad guys » sont nombreux et l’on se souvient que, dans les derniers jours de la charge sur Bagdad, l’idée de continuer la course vers le dernier régime ba’assiste avait germé dans les esprits va-t-en-guerre du Pentagone. Et bien la Syrie n’a pas été oubliée : « J’attends du gouvernement syrien qu’il cesse tout soutien au terrorisme et ouvre la porte à la liberté ».
La nouveauté du discours présidentiel tient peut-être au sermon infligé aux anciens alliés. Anciens, parce que depuis le 11 septembre, les Etats-Unis ont été amenés à revoir leur stratégie, notamment celle concernant leurs approvisionnements pétrolifères. Les tentatives de déstabilisation de Chavez, au Venezuela, participaient de cette remise à plat. Mais c’est surtout l’Arabie saoudite qui a été la plus touchée, même si cela se faisait de manière plus douce. La liberté de ton dont dispose, depuis Doha, la chaîne al Jazira avait déjà donné le ton par ces attaques contre l’oligarchie saoudienne. Mais la teneur des échanges de haut niveau entre Washington et Riyad n’était pas meilleure. Après les armes de destruction massive et le terrorisme, le président américain entend apporter la démocratie au Proche-Orient : « Le gouvernement de l’Arabie Saoudite peut montrer son leadership dans la région en accroissant le rôle de son peuple dans la définition de son avenir ». Et de continuer, à destination d’un autre allié : « La grande et fière nation d’Egypte, qui a montré la voie de la paix au Proche-Orient, peut maintenant montrer la voie de la démocratie au Proche-Orient ».
Les Etats-Unis se sont bâtis lentement, autour de quelques idées simples. Ce qu’ils ont fait à l’échelle d’un continent, ils entendent le faire à l’échelle mondiale, ce monde qui compte, c’est-à-dire ce monde utile. Après la mise en évidence de l’intérêt pour la « nouvelle Europe », dont les implications dans l’évolution géorgienne et ukrainienne sont les derniers témoignages, voilà que Washington entend prendre pied dans l’Heartland, cette « région pivot » qui permet de contrôler le monde. Dans cette région, les puits de pétrole sont suffisants pour contre-balancer le poids devenu trop lourd de l’Arabie saoudite. L’Irak et les Emirats arabes unis vont devenir les nouveaux centres de commandement américains. C’est à partir de ces têtes de pont que « des réformes pleines d’espoir sont déjà en train de prendre pied dans un arc allant du Maroc à la Jordanie et à Bahreïn »…

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