25.2.05

Pas d'armes européennes pour assommer la démocratie taïwanaise !

L'«Empire» n'est pas menacé

PAR JEAN LECLERC DU SABLON *
[LE FIGARO, 25 février 2005]


Pour l'Europe, une démocratie ne peut aider une dictature à écraser une autre démocratie. Or telle est la vilenie mijotée en faveur de la République populaire de Chine, de plus en plus populaire dans le monde démocratique, de moins en moins auprès des Chinois : lever l'embargo sur les ventes d'armes à Pékin. C'était une sanction après le massacre des manifestants du printemps de 1989 par l'armée dite «du peuple».
La Chine n'est pas menacée. Elle n'a jamais été si courtisée. Son armée n'a servi qu'à blinder le pouvoir communiste. Après l'annexion du Tibet, Mao Zedong l'a lancée à la fin des années 60 contre les jeunes qu'il avait jetés contre ses rivaux. Dix ans plus tard, Deng Xiaoping, avec elle, a agressé le Vietnam.
Dans la tradition chinoise, le métier militaire n'est pas valorisé : «Les gens bien n'entrent pas dans l'armée», disait le dicton. Expert, Jaques Chirac connaît l'oeuvre du poète Tang, Du Fu : «Les recrutés avancent. Parents, femmes et enfants les accompagnent... On tape du pied, on leur barre la route, on pleure...»
Qui pleurera devant une armée équipée d'armes européennes ? Les 23 millions d'habitants de l'île de Taïwan, petit territoire que Pékin a qualifié de «rebelle», peut-être parce qu'il élit ses dirigeants et jouit d'une presse libre. Inaugurant il y a un an l'«année de la Chine», le chef de la vieille démocratie française avait condamné un projet de référendum dans la jeune démocratie taïwanaise, sous prétexte que cet exercice allait accroître la tension dans la région. Le président français avait tu en public la vraie source de tension : plus de 500 missiles continentaux braqués sur Taïwan. Le péril est-il plus démocratique que balistique ?
M. Chirac accueillait le nouveau président chinois Hu Jintao. Charmé, M. Hu omit le reproche habituel à qui commente la situation taïwanaise : «C'est une affaire intérieure chinoise, ne vous en mêlez pas.» Refrain colérique repris dimanche contre les «ingérences» des Etats-Unis et du Japon, qui viennent de déclarer leur «objectif stratégique commun», la paix dans les détroits et dans cette région de la mer de Chine où une armée communiste dotée d'armes modernes et commandée par des chefs enivrés de nationalisme inquiète les riverains.
Pour Pékin, l'embargo c'est la «guerre froide». Les Européens le jugent «obsolète» car la Chine «change». Mais le régime «populaire» ne change pas de refrain sur l'usage éventuel de la force contre Taïwan. Il écarte toute idée d'indépendance de l'île. Indépendance qui fut pourtant recommandée par son fondateur Mao dans les années 30, quand Taïwan, île d'exil jamais totalement contrôlée par l'empire, était colonie japonaise, pas encore «territoire sacré» du continent, puisque Mao le comparait à la Corée, elle aussi nipponisée.
Bien sûr, ce texte est serré aux oubliettes. En revanche, les Européens risquent de suivre un Mao qui savait vilipender les puissants et matraquer les petits, jamais l'inverse. Dans cette affaire, l'Europe est «myope», estime à Hongkong Philip Bowring, l'un des meilleurs observateurs de l'Asie. Conclusion du romancier Xu Xing (1) : «Merde, à quoi ça sert les armes, n'est-ce pas la même chose que l'opium qu'on nous refilait au XIXesiècle» ?


* Journaliste, auteur de L'Empire de la poudre aux yeux, Carnets de Chine (Flammarion).

(1) Dans Libération du 19 février.

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