La « Fin de l’Histoire » selon Francis Fukuyama prédisait la fin de la guerre et l’avènement de la démocratie. Le credo du second mandat de George W. Bush est justement la promotion de la démocratie, notamment à travers la construction surréaliste d’un « Grand Moyen-Orient ». Pourtant, le point crucial de ce nouvel ordre mondial est qu’il doit sa naissance à un acte purement illégal. C’est ce que démontre la publication, à moins d’une semaine des élections générales en Grande-Bretagne, de l’avis de l’attorney général Lord Goldsmith sur la légalité de la guerre en Irak, ce qu’il avait toujours refusé de faire. La publication dès mercredi soir par les médias d’extraits de cet avis confidentiel, donné au gouvernement le 7 mars 2003, a provoqué cette étonnante volte-face du leader travailliste.
Dans ses recommandations, envoyées deux semaines avant l’intervention américano-britannique, Lord Goldsmith se montrait sceptique sur la légalité de l’invasion de l’Irak sans nouvelle résolution des Nations unies. Dans un résumé de son avis, rendu public dix jours plus tard et transmis au Parlement, l’attorney général jugeait pourtant légale une invasion de l’Irak. L’un des points les plus intéressants de l’avis de Lord Goldsmith est le fait qu’il n’y avait pas, selon lui, de veto « raisonnable » ou « déraisonnable » de la part des membres du Conseil de sécurité des Nations unies, démolissant ainsi l’un des arguments du gouvernement.
Pour justifier une intervention en Irak sans un feu vert préalable de l’ONU, Tony Blair avait toutefois affirmé à l’époque qu’il renonçait à obtenir une deuxième résolution en raison de la menace de « veto déraisonnable » de la France. « Si la majorité de l’opinion mondiale reste opposée à l’action militaire, il risque d’être difficile de qualifier le veto français de “déraisonnable” », estimait Lord Goldsmith.
Plusieurs ministres de Tony Blair ont volé jeudi à son secours. Hier, le ministre des Affaires étrangères Jack Straw a pourtant tenté de justifier ce conflit, affirmant que Lord Goldsmith n’avait pas changé d’avis. L’attorney général « a toujours dit clairement qu’une intervention militaire sans deuxième résolution était justifiée dans certaines circonstances ». Dans une conférence de presse commune, le ministre des finances, Gordon Brown, a aussi affirmé que, en 2003, il aurait agi de la même façon que le Premier ministre. « Oui », a-t-il répondu à la question d’un journaliste qui lui demandait si, dans les mêmes circonstances, il aurait agi comme M. Blair. « Non seulement je lui fais confiance, mais je respecte Tony Blair pour la façon dont il a pris cette décision », a déclaré M. Brown. La ministre du commerce et de l’industrie, Patricia Hewitt, a expliqué de son côté que Lord Goldsmith avait déclaré aux principaux ministres avant la guerre que « le conflit serait légal. Il nous a dit qu’une seconde résolution (de l’ONU) aurait été préférable, mais n’était pas essentielle. Une absence (de 2e résolution) ne rendait pas le conflit illégal ».
Etrangement, les anciens ministres Robin Cook et Clare Shore demeurent silencieux. Ils avaient pourtant été les premiers, au sein du cabinet Blair , a clamer haut et fort l’illégalité de la guerre. Pour manifester leur opposition, tant envers la participation britannique qu’envers la façon dont Tony Blair gérait cette question, ils avaient démissionné. L’importance du soutien britannique à la guerre américaine contre Saddam Hussein et surtout son importance dans l’opération de séduction des opinions publiques occidentales aura finalement coûté chère à la Grande-Bretagne : l’expert du ministère de la Défense, David Kelly, ancien inspecteur en Irak, a été succédé, la BBC est en passe d’être, sinon démantelée, au moins réduite dans ses ambitions. Même Margaret Thatcher, qui avait joué, peu ou prou, la même partition lors de la guerre des Falkland, n’avait été aussi loin…
L’Irak semble coller à la peau de Tony Blair et se réinvite donc une fois de plus dans la campagne électorale. L’impact de ce mini-coup de théâtre est cependant difficile à mesurer. En tant que tel, l’Irak importe peu aux électeurs, même si quelque sept mille cinq cents soldats britanniques y sont toujours stationnés ; seuls 3 % des Britanniques affirmaient dans un récent sondage que c’était, pour eux, le facteur déterminant dans le scrutin. S’il gagne jeudi prochain, il sera le troisième chef d’Etat ou de gouvernement, après l’Australien John Howard et l’Américain George W. Bush, à avoir berné son électorat sans en essuyer aucune conséquence. Seul l’Espagnol Jose Maria Aznar en a payé les conséquences ; mais il est vrai qu’il avait essayé de gérer de la même façon que l’Irak l’attentat de Madrid, l’avant-veille des élections où il était donné largement gagnant…
29.4.05
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire