15.4.05

NON !

Que risque la France à voter « Non » ? Rien, ou si peu.
Que risque l’Europe à un vote négatif de la France ? Tout.
Voilà le cruel dilemme qui devraient agiter la France et les Français au moment de formuler leur avis sur la constitution. Loin de marginaliser la France, un rejet de ce texte fondateur d’un nouvel avenir pour l’Europe ne ferait que renforcer tous les tenants du « Non » dans les autres pays, qu’ils aient à s’exprimer par voie référendaire ou législative. L’euroscepticisme est la grande réussite de l’Europe, après la Politique agricole commune et l’Euro, les deux seules politiques intégrées qui ont vu le jour ces cinquante dernières années. Tout le reste, c’est-à-dire pas grand chose, n’est qu’emplâtre et cautère sur une jambe de bois. L’Europe n’est qu’un espace économique et ne profite vraiment qu’à quelques-uns. La constitution, malgré ses rappels pour « une économie sociale de marché hautement compétitive », n’est en rien un hymne au libéralisme, ou cet ultra-libéralisme qui agitent tant une partie des opposants au traité constitutionnel français. Mais voilà, une partie seulement…
En effet, la particularité du rejet français est telle qu’elle ne correspond en rien à la réalité européenne. Seulement, sa victoire en France entraînera une envolée des « Non » dans toute l’Europe, Pologne comprise. Là où la majorité des courants politiques européens se retrouve tient en cette peur des nations historiques d’une dilution dans un maelström européen, sans saveur, ni idéologie. A y regarder de près, ce n’est pas seulement une thèse d’extrême droite, comme on tend à nous le faire croire en France. Le conservatisme existe aussi bien à gauche qu’à droite. Et cette tendance sera exacerbée par un vote négatif français. N’oublions pas que la France est un des moteurs de la construction européenne. Si le « Non » l’emporte, il sera beau jeu à tout un chacun d’opposer le choix de la « Grande Nation » à ce texte constitutionnel, n’en déplaise à l’académicien Giscard d’Estaing, mal écrit et complexe.
Mais le « Non » français n’est pas vraiment, ni seulement d’ailleurs, souverainiste. Il est plus complexe et plus simple à la fois. Le problème se résume facilement si l’on en revient au second tour de la présidentielle de 2002. Ce soir là, la victoire de Jacques Chirac tenait plus au rejet de Jean-Marie Le Pen qu’à la volonté des Français de confier au président sortant un nouveau mandat. Et depuis, à chaque élection, les Français se sont laissés aller à leur cohabitationnisme ambiant, encouragés qu’ils étaient par une gauche en manque d’idée mais pas d’ambition et un gouvernement incapable de dépasser son ulcère sarkosien qui l’empêche de formuler une politique volontariste pour remettre le pays sur les rails. Résultat : les régionales plombent toute possibilité de décentralisme par opposition des vingt-et-un présidents de gauche, bloquant les exécutifs régionaux sur des enjeux de politique nationale, destinés à paralyser le jeu gouvernemental et à les poser en autant d’alternative possible pour un destin national. Le référendum devient ainsi une élection supplémentaire détournée pour un objectif tout autre que celui qu’elle représente. Et l’on entend déjà, comme en 1992 au moment de Maastricht, les impatients intimer au président de la République de se démettre en cas de réponse négative par les Français à la question référendaire. Mais n’est pas de Gaulle tout le monde, et en tout cas par le vieux rad-soc de l’Elysée ! Par ailleurs, le traité constitutionnel européen n’est en rien la régionalisation de 1969 : aucun leader régional, sénateur ou ministre des Finances n’est en passe de voir sa clientèle rognée.
Toutes ces subtilités font que le « Non » français n’est pas européen. Il ne s’agit pas de rejeter une conception de l’Europe pour en proposer une autre. Il s’agit simplement de témoigner de l’immobilisme français au moment d’avancer, de la peur de perdre des avantages acquis dont on a oublié jusqu’à la signification. C’est un « Non » de perdants. Le « Non » d’un peuple de petits boutiquiers qui se complaisent dans ce pervertissement des institutions de la Cinquième république, où l’objectif n’est plus de faire avancer le pays au non d’une haute opinion de soi-même, mais de maintenir cette instabilité engendrée par l’incurie des uns et des autres depuis le milieu des années 1980. La France en est encore à ses relents d’anti-gaullisme, de revanche sur l’autre, quel qu’il soit. Elle ne comprend pas l’Europe parce qu’elle n’y est pas encore arrivée. Elle commémore toujours ce tripartisme qui l’a reconstruite.
Plutôt qu’un Chirac face à Delarue et Fogiel, c’est Gabin dans le « Président » qu’il conviendrait de méditer. Il n’a pas pris une ride pour expliquer les travers de la Quatrième république, mais il explique encore mieux les intérêts en jeu dans cette France qui a refermé la parenthèse du gaullisme il y a longtemps et s’en sent toujours orpheline. Au point de faire dire au Général tout et son contraire. Et sur l’Europe, il est facile de jouer ce petit jeu. De gauche comme de droite, en passant par ses ennemis de toujours aux deux extrêmes, on s’arrache ses petits mots. Et les voilà tous de s’agiter « comme des cabris en criant » « Non, Non ».
Cet irrationalisme propre aux habitants du pays de Descartes n’est pas transposable au niveau européen, où les tenants du « Non » rejettent l’Europe pour ce qu’elle est, à savoir une ouverture vers demain, et non pour préserver des avant-hiers qui chantent. Seulement, ils auront tôt fait de se mettre à l’unisson français si le « Non » l’emportait le 29 mai prochain.

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