9.5.05

De retour à Beyrouth, Aoun vise le leadership chrétien

LIBAN Le général a été accueilli dans la liesse après quinze ans d'exil en France

Beyrouth : Sibylle Rizk
[Le Figaro, 09 mai 2005]

«Général ! Général !» Des dizaines de milliers de chrétiens ont accueilli samedi avec ferveur Michel Aoun, revenu au Liban, après 15 ans d'exil en France. Sur la place des Martyrs, dans la marée orange de militants aounistes qui se sont approprié les couleurs de la révolution urkrainienne, se trouvaient aussi des centaines de jeunes des Forces libanaises, venus au nom de «l'unité des rangs chrétiens», comme l'explique Négib, un jeune de la ville de Zahlé, dans la plaine de la Bekaa, qui a collé un portrait de Aoun sur son T-shirt frappé de la croix des partisans de Samir Geagea, emprisonné depuis neuf ans.
«J'aurais aimé pouvoir partager cette fête aujourd'hui avec lui», si la loi d'amnistie en faveur du chef des Forces libanaises avait été votée à temps, a dit Michel Aoun à la presse, dès son arrivée à l'aéroport de Beyrouth, manifestant sa volonté de se rapprocher de son ancien ennemi. Car bien que l'ancien premier ministre d'un gouvernement de transition entretienne une image d'homme d'Etat, rassembleur de tous les Libanais, c'est d'abord le leadership de sa communauté qu'il vise. Une ambition qui suscite à la fois un grand espoir chez ses partisans et fait grincer les dents du Landerneau politique libanais.
Agé de 70 ans, l'homme qui goûte enfin à l'accomplissement de son combat contre la tutelle syrienne sur le Liban, faisant sourire pendant des années par son intransigeance et son obstination, n'est pas prêt de changer de méthode. Le général n'hésite pas à décocher ses flèches pour se poser en véritable ténor de la réforme. «Ô grand peuple du Liban, lance Michel Aoun à la foule en liesse. Je vois sur vos visages l'aspiration au changement, et ce changement viendra. Le Liban ne sera plus gouverné avec une mentalité du XIXe siècle. Nous ne voulons plus de la féodalité qui persiste jusqu'à ce jour. Nous ne voulons plus du sectarisme confessionnel. Nous voulons combattre l'argent politique qui a corrompu la République.»
Première cible, les différents leaders de la communauté chrétienne rassemblés sous la houlette du patriarche maronite, Nasrallah Sfeir, à qui il pardonne difficilement le soutien à Taëf, l'accord qui a consacré en 1989 la tutelle de Damas et a abouti à la marginalisation politique des chrétiens. Deuxième cible, les autres composantes de la coalition antisyrienne dont il minimise le rôle dans la libération du pays, concrétisée le 26 avril par le départ du dernier soldat syrien, les accusant implicitement d'opportunisme. «Le peuple libanais sait qui était pendant quinze ans dans le camp des profiteurs et qui était dans celui de la résistance», lance le général qui considère le retrait syrien comme une victoire personnelle.
Dans son esprit, l'assassinat de Rafic Hariri, le 14 février dernier, a simplement «accéléré» un processus qui a commencé à porter ses fruits dès 2003, avec l'adoption de sanctions américaines contre la Syrie, auxquelles le courant aouniste affirme avoir préparé le terrain par un travail de lobbying de la diaspora libanaise aux Etats-Unis, puis en septembre 2004, avec le vote de la résolution 1559 des Nations unies.
Qualifiée de populiste par ses adversaires, la posture de Michel Aoun agace particulièrement la classe politique libanaise. Le chef druze Walid Joumblatt a qualifié de «tsunami» le retour du général. Pour certaines figures chrétiennes, non seulement leur nouveau rival revendique un rôle «démesuré» de libérateur, mais il oublie l'effet dévastateur de ses guerres de 1990, l'un des épisodes les plus meurtriers du conflit libanais. Quelles que soient ses ambitions, le général devra en tout cas faire preuve de patience, le découpage électoral choisi pour les législatives du 29 mai est en effet défavorable à l'électorat chrétien, ce qui limitera probablement sa représentation parlementaire.

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