9.5.05

Des armes syriennes dans les camps palestiniens

Des services de renseignements occidentaux ont repéré des camions transférant des armes depuis des dépôts syriens

Ein Héloué : de notre envoyé spécial Georges Malbrunot
[Le Figaro, 09 mai 2005]

«Non à la résolution 1559. Oui à notre droit au retour.» De Rachydié à Naer el-Bared en passant par Ein Héloué, les Palestiniens des camps de réfugiés du Liban crient une nouvelle fois à l'injustice. «Nous sommes 350 000 à attendre l'application de la résolution 194 de l'ONU pour rentrer chez nous, s'écrie Mounir Magda, d'Ein Héloué. Pourquoi toutes les résolutions contraignant Israël restent-elles lettre morte ?»
Adoptée en septembre 2004 à l'initiative des Américains et des Français, la résolution 1559 exige le retrait des troupes syriennes du Liban et le désarmement du Hezbollah et des Palestiniens des camps. Seule la première demande a été exaucée. La détention d'armes entre les mains de radicaux palestiniens prosyriens est «une des sources de nuisance» dont pourrait user Damas pour semer le trouble chez son voisin, comme en témoignent certains signes avant coureurs.
Le 3 mars, des services de renseignements occidentaux ont repéré des camions qui pénétraient à Ein Héloué et Rashydié pour transférer des armes depuis des dépôts syriens vidés. Selon une source digne de foi, l'armée libanaise qui surveille les accès a laissé faire. Des kalachnikovs, des mitraillettes, des roquettes antichars et des pièces de défense aérienne ont été redistribuées au Fatah et au FPLP-CG d'Ahmed Jibril, basé à Damas. «Les Syriens ont laissé des hommes également aux côtés du FPLP-CG dans ses positions de Naama et dans la Békaa ouest», déclare au Figaro un ancien général de l'armée libanaise. C'est près d'une de ces positions à Qoussaya (Békaa) que des experts onusiens, chargés de vérifier le départ des soldats syriens, ont été la cible de tirs la semaine dernière.
«Ces transferts d'armes sont une rumeur propagée par les Américains pour accentuer la pression sur la Syrie», dément Anwar Rajah, porte-parole du FPLP-CG dans le camp de Bourj el Brajneh, dans la banlieue sud de Beyrouth, qui reconnaît toutefois l'existence d'un réseau de tunnels à Naama, à quinze kilomètres au sud de la capitale.
«Nous n'y entreposons que des armes légères et moyennes pour notre protection. Mais je ne peux pas vous y emmener, car j'aurais des problèmes», ajoute-t-il.
Construits à plus de cinquante mètres dans la pierre du Chouf par les fedayins palestiniens dans les années 70, ces mini bunkers ont résisté à tous les bombardements israéliens. Ils cacheraient des canons de 152 millimètres. Les enquêteurs de l'ONU actuellement au Liban pourront-ils y accéder ? «Nous les garderons», jure Anwar Rajah. Acculée à sortir du pays du Cèdre, la Syrie voudrait récupérer la détresse des réfugiés, mais tous ne sont pas prêts à succomber aux sirènes de Damas. Bien qu'ils le démentent, les deux frères ennemis palestiniens au Liban, Mounir Magda et Sultan Abou Aynan, le représentant officiel de l'Autorité palestinienne, se sont rendus en février en Syrie, où ils avaient été convoqués.
Le premier règne sur Ein Héloué, le plus vaste camp du Liban, transformé en zone de non-droit, où s'abritent quelque 300 djihadistes internationalistes. Magda a multiplié les alliances, arafatistes, Syriens, Libanais, mais il reste incontournable, même auprès des islamistes salafistes, l'autre force dominante du camp. Magda, l'officier rebelle, est le seul des chefs de guerre palestiniens à avoir gardé des armes lourdes en 1991, lorsque le Fatah d'Arafat acceptait de les remettre aux autorités libanaises, une fois la guerre civile terminée. Plus surprenantes ont été les deux visites en Syrie d'Abou Aynan, un homme pourtant condamné à mort par contumace depuis 1999. Les Syriens voudraient-ils le retourner ?
Magda comme Abou Aynan n'auraient, pour l'instant, rien cédé aux Syriens. «Les Palestiniens, sauf le FPLP-CG et d'autres petits groupuscules, ne sont pas prêts à jouer la carte de la déstabilisation du Liban demandée par la Syrie», explique Walid Choukair, éditorialiste au quotidien al-Hayyat.
«Personne ne doit se moquer de nous, s'écrie Abou Aynan depuis son bureau de Rashydié, entouré d'une pléthore d'hommes en armes. Sont-ils prêts à nous donner nos droits politiques, le droit d'hériter, ou celui d'exercer les 72 métiers qui nous sont aujourd'hui interdits ? Nous sommes disposés à négocier avec les Libanais. Nous l'avons souvent demandé, mais sans succès.»
Le départ des Syriens change la donne. Les Palestiniens du Liban ont beau critiquer la résolution 1559, ils ne portent pas les Syriens dans leur coeur. Pour eux aussi, cette nouvelle ère peut être porteuse d'espoirs. «La politique syrienne vis-à-vis des Palestiniens s'inscrit dans une continuité de morcellements et de divisions pour empêcher toute émergence d'une structure représentative institutionnelle», reconnaît Bernard Rougier, chercheur à l'Institut français du Proche-Orient.
Les camps du nord pro-syriens étaient gérés directement par les services de renseignements de Damas. Contrairement à ceux du Sud, loyalistes à l'Autorité palestinienne, les réfugiés de Naer el-Bared jouissent d'une liberté de mouvement.
A une vingtaine de kilomètres des côtes syriennes, Naer el-Bared est le royaume de la contrebande : marchandises, armes. On y trouve aussi des réfugiés kurdes qui échoueront sur les plages européennes. Les caïds du trafic n'ont pas disparu avec le retrait syrien. «Ce qui m'inquiète le plus, ce sont les électrons libres», observe un expert de l'ONU. «Ils ont perdu leurs parrains, mais ils peuvent être instrumentalisés par d'autres», renchérit un diplomate. La mouvance al-Qaïda par exemple : «Des djihadistes sont rentrés récemment d'Irak, ils peuvent constituer des cellules dormantes comme celle qui devait viser l'ambassade d'Italie en fin d'année dernière», ajoute ce diplomate.
Orphelins des accords de paix, mais replacés au centre des enjeux régionaux, la plupart des Palestiniens du Liban paraissent cependant décidés à saisir la carte qui s'offre à eux. Et le départ syrien ouvre de l'espace à une Autorité autonome, qui, depuis 1999, a déversé beaucoup d'argent pour calmer les ardeurs combattantes de certains desperados facilement manipulables.

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