27.6.05

Danger de balkanisation en Israël

En 1994, lors d’un colloque toulousain consacré à la « nouvelle question d’Orient », un vénérable citoyen de Sarajevo affirma haut et fort que les droits, et donc les exigences territoriales, de la Serbie allaient jusqu’aux limites de la dernière tombe d’un Serbe. Pour schématiser, la Bosnie était serbe, puisque des Serbes y étaient morts pendant les vingt siècles précédents. La même logique a prévalu au Kosovo. L’exploitation des cadavres de l’histoire, pour justifier une position politique, est une arme de propagande largement facile à utiliser. Elle alimente les nationalismes de tous les bords, jouant avec la mémoire des sociétés. Elle permet ainsi de construire des ennemis, puis d’entretenir des haines dites « historiques ». Et, par-dessus tout, elle offre l’opportunité d’empêcher toute réconciliation, fondée forcément sur l’oubli, comme l’ont noté Ernest Renan, au XIXe siècle, et rappelé Paul Riqueur, un siècle plus tard.
Voilà qu’aujourd’hui l'évacuation de Gaza offre les prodromes d’une telle évolution. Voilà que les colons israéliens s'accrochent à leurs tombes, soutenus par les deux grands rabbins d'Israël, qui ont indirectement donné leur accord au plan de retrait de Gaza en août, non sans exiger que les cimetières juifs de la région soient transférés en Israël auparavant. A Goush Katif., où le gouvernement israélien a annoncé son intention de déplacer les quarante-huit tombes inhumées à Gaza en septembre, après l'évacuation des vivants, l'opération s'annonce comme un déchirement et un casse-tête religieux. La Torah interdit, en effet, de déplacer des tombes. Mais la loi juive autorise le transfert de dépouilles mortelles dans des circonstances exceptionnelles, notamment lorsqu'il existe un risque absolu de profanation. A cela s’ajoute le fait que l'écrasante majorité des colons de la bande de Gaza s'oppose farouchement au projet d'évacuation. Aussi refuse-t-elle l'idée de partir sans ses morts. « Nous ne les laisserons pas à la merci des Arabes », disent les familles des défunts. « Le jour où il n'y aura plus de Juifs vivants ici, il n'y aura plus non plus de Juifs morts, affirme Eliezer Orlach, responsable du cimetière, cité par Le Figaro du 25 juin. Sinon, nos voisins profaneront nos tombes comme ils ont profané le tombeau de Joseph à Naplouse. »
La Haute Cour de justice a ordonné, jeudi, au gouvernement de rencontrer les familles des défunts pour trouver un accord sur la question du transfert des tombes. Certains corps reposent dans les sables du cimetière de Goush Katif, enterrés dans un simple linceul, sans cercueil, depuis plus de vingt ans. Leur transfert pose des problèmes religieux et logistiques cauchemardesques. Les ossements ayant été déplacés, Tsahal devra former une unité spéciale, encadrée par des rabbins, pour mener les fouilles. Pour de nombreuses familles, déjà très affectées par la perspective d'un départ forcé, le déplacement des tombes ajoute un stress émotionnel intense. En effet, elles devront toutes porter un nouveau deuil, obligatoire lorsqu'un corps est changé d'emplacement en Terre sainte.

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