28.6.05

Les Etats-Unis confirment des contacts avec la guérilla en Irak

Les responsables américains tentent d'associer les insurgés sunnites au processus de normalisation politique dans le pays

Adrien Jaulmes (avec AP, AFP.)
[Le Figaro, 28 juin 2005]

On ne négocie qu'avec ses ennemis. Après les révélations de l'hebdomadaire britannique The Sunday Times de ce week-end, faisant état de contacts entre les Américains et la guérilla irakienne, Londres et Washington ont fini par admettre que l'Irak ne faisait pas exception à la règle. Le premier ministre britannique, Tony Blair, a reconnu hier que des pourparlers étaient bel et bien en cours avec des groupes armés irakiens pour tenter de les associer au processus de normalisation politique du pays. «Nous facilitons de temps à autre» ce type de rencontres, a affirmé de son côté le secrétaire américain à la Défense, Donald Rumsfeld. Il a souligné qu'il ne fallait pas exagérer leur portée et que Washington «ne négociait pas avec les terroristes». Mais Rumsfeld est revenu sur ses précédentes déclarations optimistes quant à la situation irakienne, en expliquant qu'«à terme, c'est le peuple d'Irak et les forces irakiennes qui viendront à bout de l'insurrection, pas les troupes étrangères». Il a admis que cela «pourrait prendre du temps». Le premier ministre irakien, al-Jaafari, a répliqué en affirmant que deux ans suffiraient.
Le général Casey, commandant américain de la coalition multinationale en Irak, a déclaré de son côté qu'«on ne réglera pas les choses sur le champ de bataille» en Irak, et que la situation trouverait sa solution «par la négociation, au cours d'un processus politique».
Ces déclarations ont confirmé les informations révélées par l'hebdomadaire britannique Sunday Times selon lesquelles une rencontre discrète se serait tenue le 3 juin dernier dans la ville de Balad, à quelque soixante-dix kilomètres au nord de Bagdad. La délégation américaine présente à cette réunion aurait été composée d'officiers supérieurs de l'armée et du renseignement, d'un diplomate de l'ambassade américaine en Irak et d'un représentant du Congrès. Les insurgés irakiens auraient été représentés par des membres d'Ansar al-Sunna, groupe islamiste réputé proche d'al-Qaida, mais aussi de l'Armée islamique en Irak, responsable notamment de l'assassinat du journaliste italien Enzo Baldoni, ainsi que d'autres factions de la guérilla sunnite. Le mouvement du Jordanien Abou Moussab al-Zarqaoui, «al-Qaida en Irak», n'aurait en revanche pas participé à cette rencontre confidentielle.
Les discussions, qui se seraient tenues en présence de l'ancien ministre de l'Électricité du gouvernement intérimaire irakien, Ayam al-Samarrai, et de chefs tribaux, aurait buté sur des demandes jugées inacceptables par les parties adverses. Les insurgés demandaient un calendrier de retrait des troupes américaines, ce que Washington refuse d'évoquer pour ne pas donner d'échéance à la guérilla. Les Américains auraient de leur côté exigé que les insurgés cessent tout soutien à Zarqaoui et aux groupes islamistes étrangers liés à al-Qaida. Cette demande a été rejetée par les insurgés qui estiment que leurs alliés étrangers sont le pendant de la coalition réunie par les Américains pour envahir l'Irak.
Aucun participant irakien n'a admis l'existence de ces pourparlers. Dans un communiqué publié en son nom sur Internet, Ansar al-Sunna a «catégoriquement» nié avoir rencontré des émissaires américains. Un texte similaire attribué à la branche irakienne d'al-Qaida a mis en garde quiconque rencontre «les ennemis de Dieu», en qualifiant de «mensonges» les informations du Sunday Times. Mais le fait que de tels contacts soient reconnus par Washington indique une évolution de la réflexion américaine sur l'Irak. Deux ans après le début du soulèvement des provinces sunnites à l'été 2003, les Américains commencent à réaliser que le recours à la force militaire contribue autant au développement de la guérilla qu'à son éradication.
L'assaut des marines contre Faludja, bastion des mouvements islamistes, en novembre 2004, n'a pas mis fin aux attentats et aux assassinats. L'opération «Matador», lancée depuis mai dernier dans les déserts du nord-ouest irakien et le long des voies d'infiltration de la guérilla par la frontière syrienne, ressemble par ses résultats à des coups de pied donnés dans une fourmilière. Quant à l'opération «Eclair», censée éradiquer les réseaux de l'insurrection dans Bagdad, elle n'a pas non plus réussi à mettre un terme aux attaques à la bombe jusqu'au centre de la capitale irakienne. Cette capacité des insurgés irakiens à se régénérer après chaque opération est sans doute à l'origine d'une approche plus réaliste des Américains vis-à-vis de la guérilla sunnite.

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