28.6.05

Moussa : «La démocratie dans le monde arabe doit suivre un processus»

Proche-orient Un entretien avec le secrétaire général de la Ligue arabe à propos de la visite de Condoleezza Rice

Amr Moussa défend depuis 25 ans le monde arabe sur le front diplomatique. Ministre des Affaires étrangères de l'Egypte de 1991 à 2001, il dirige depuis cette date la Ligue arabe. Il tire les leçons du récent voyage de la secrétaire d'Etat américaine, Condoleezza Rice, dans la région.

Propos recueillis au Caire par Pierre Prier
[Le Figaro, 28 juin 2005]

LE FIGARO. – Quel bilan tirez-vous de la visite de Condoleeza Rice dans le monde arabe ?

Amr MOUSSA. – C'était son premier voyage dans le monde arabe en tant que secrétaire d'Etat. Le résultat est grosso modo positif. Je pense que Mme Rice et les Etats-Unis comprennent maintenant qu'on ne peut pas mettre de côté la question palestinienne. En arrivant, elle avait en tête le problème des réformes politiques au Proche-Orient. C'est une pré occupation majeure pour nous, mais la question palestinienne nous préoccupe tout autant.

Mais les Etats-Unis semblent désormais opposés à un retour aux frontières de 1967, comme le stipule un échange de lettres entre Ariel Sharon et George Bush en avril 2004...

Au cours de ce voyage, un message fort a été transmis aux Etats-Unis : quiconque tentera de jouer avec la solution du conflit s'exposera à un retour de flamme. La lettre du 14 avril 2004 sur les frontières est très négative. Israël croit avoir reçu un feu vert pour annexer des territoires. Mais le président Mahmoud Abbas m'a dit avoir obtenu l'assurance du président Bush que les frontières définitives devront être négociées, et non imposées. La position américaine se situe donc quelque part entre une lettre disant à Israël qu'il n'est plus obligé de se retirer sur les frontières de 1967 et la réaffirmation à Mahmoud Abbas que les frontières doivent être fixées d'un commun accord. Attendons de voir quelle sera la position finale de Washington... En outre, Israël continue à construire des colonies et à bâtir le mur, malgré les recommandations des Américains. Si vous me demandez si je suis optimiste ou pessimiste, je dirai que je suis pessimiste.

Vous ne pensez pas que des progrès ont été accomplis dans le processus de paix ?

La dernière rencontre entre Ariel Sharon et le président palestinien Mahmoud Abbas a été un échec. Je n'ai pas été surpris. Je n'attendais rien de cette rencontre, parce que je connais le projet de M. Sharon, et je ne vois aucune raison pour lui d'en changer. Après la rencontre, le président Mahmoud Abbas m'a brièvement appelé pour me dire : «Rien de neuf. Nous n'avons rien obtenu, aucun progrès.»

Le débat sur la démocratie dans le monde arabe porte souvent sur l'intégration des islamistes dans le jeu politique. Qu'en pensez-vous ?

La démocratie, c'est la démocratie. Dans le monde arabe, elle doit suivre un processus. Je ne recommande pas d'avancer lentement, mais raisonna blement et fermement. Regardez ce qu'il s'est passé en Irak : un système démocratique, recommandé par une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU, appelé de leurs voeux par les Etats-Unis, a abouti à une compétition entre groupes religieux. La démocratie, c'est demander au peuple quel chemin il veut prendre pour reconstruire le pays : l'économie de marché, le multipartisme, la société ouverte, ou le système socialiste, un gouvernement fort et une politique sociale ? La démocratie, ce n'est pas de discuter s'il faut rendre grâce à Dieu à travers le Christ ou le prophète Mohammed, selon la voie sunnite, chiite ou catholique. Ceux qui veulent jouer un rôle doivent présenter des programmes qui répondent aux besoins du XXIe siècle, la technologie de l'information, le high-tech, le chômage, la croissance, les droits des femmes... Il faut des programmes !

Et en Egypte, avance-t-on vers la démocratie ?

L'Egypte a connu la démocratie avant de nombreux pays européens. En 1952, avec la révolution, le système a changé. Mais c'était la guerre froide. Nous avons changé de siècle, et l'avenir de la démocratie dans le monde arabe dépendra en grande partie des développements en Egypte.

Pensez-vous qu'on est au début d'un processus de démocratisation ?

Il s'est passé quelque chose en Egypte. Tout le monde parle, crie, des choses se passent dans la rue, dans les journaux... La société s'ouvre. Je ne pense pas que l'on puisse revenir en arrière. Surtout que c'est le président lui-même qui a commencé en proposant de changer la Constitution pour ouvrir l'élection présidentielle de septembre à d'autres candidats.

Serez-vous candidat à la prochaine élection ?

Je ne ferai aucun commentaire. Pour le moment, je reconstruis la Ligue arabe. J'espère avoir bien commencé : ouverture de la porte aux ONG et à la société civile arabe, création d'un Parlement arabe, suppression du vote à l'unanimité, relance de la politique culturelle. Tout cela m'occupe pleinement.

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