10.6.05

L’eftet Chavez en marche en Amérique latine : la montée du nationalisme bolivien

Le chef de la Cour suprême Eduardo Rodriguez, nouveau président de Bolivie, n’est porteur d’aucun espoir, si ce n’est celui de la transition. Comme l’avait suggéré avant-hier son prédécesseur démissionnaire, Carlos Mesa, il a appelé à la tenue d'élections générales anticipées dans le pays, en proie à une grave crise politique et sociale. Selon une étude de la banque Merrill Lynch, « La Bolivie plonge la tête la première dans une piscine en béton. » En effet, la future donne devrait être favorable à l’opposition de gauche, plus proche du Vénézuélien Chavez que du Brésilien Lula da Silva. Et, pour de bon, « Les pétroliers n'investiront plus », comme le titre l'hebdomadaire Bolivian Business. « La Bolivie a perdu 10 milliards de dollars de projets suspendus », note Energy Press, un journal professionnel de La Paz, avec cette nouvelle loi sur les hydrocarbures, qui accroît les taxes sur le pétrole et le gaz.
La démission du président Carlos Mesa, sous la pression de mouvements sociaux jugeant que le peuple a été spolié par des « transnationales » et réclamant la nationalisation des hydrocarbures, la recréation d'une compagnie nationale pour exploiter ces ressources et l'affectation des revenus à des dépenses sociales, ont plongé les milieux d'affaires dans l'incertitude. La Bolivie représente les deuxièmes réserves de gaz du continent sud-américain (1 500 milliards de mètres cubes), juste derrière celles du Venezuela, détenues par les vingt-six compagnies étrangères se partageant actuellement soixante dix-huit contrats pour un investissement de trois milliards de dollars dans les champs gaziers boliviens, notamment Repsol (Espagne), Petrobras (Brésil), Exxon Mobil (Etats-Unis), Total (France), Pluspetrol (Argentine) ou British Gaz (Grande-Bretagne). Outre cet investissement initial, il faudrait en effet injecter quatre milliards supplémentaires dans la construction de puits, de gazoducs et d'usines de compression du gaz. Repsol a fait savoir qu'elle défendrait les intérêts de ses actionnaires, tandis que Total, qui n'exploite que deux gisements (dix-huit mille barils d'équivalent pétrole par jour) et en explore quatre autres, se refuse à tout commentaire. Mais l'histoire montre que les expropriations ont coûté cher au pays, comme en 1952 pour l'indemnisation des "barons de l'étain" , ou en 1970 pour solder le départ de la Gulf Oil. Et la Bolivie n'a pas les moyens d'indemniser les multinationales, pas plus que d'investir dans l'exploration-production des richesses du sous-sol bolivien.
La loi votée le 19 mai, prévoit non seulement une hausse des taxes payées par les compagnies internationales exploitant le pétrole et le gaz boliviens (18 % de royalties et 32 % d'impôts), mais aussi la révision des contrats signés par les compagnies étrangères pour qu'ils rentrent dans le moule de trois formules types. Les sociétés devront désormais travailler en partenariat avec l'entreprise publique Yacimientos Petroliferos Fiscales Bolivianos (YPFB). Or, depuis l'ouverture du secteur au privé, « YPFB est une entreprise d'à peine 700 personnes, sans cadres qualifiés, sans camions pour assumer la distribution prévue par la nouvelle loi et sans un sou » , soulignent plusieurs analystes. Elle est à l’image de l'industrie du pays le plus pauvre d'Amérique du Sud. Avec un produit intérieur brut (PIB) de neuf cents dollars par habitant, les ambitions nationalistes du Mouvement pour le socialisme, d’Evo Morales, qui a toute ses chances pour les prochaines élections, supposent d'extraire de gros volumes de gaz pour alimenter le marché local et l'international. Notamment l'Etat brésilien de Sao Paulo, qui constitue le principal débouché.
La portée de la crise dépasse donc les seules limites de la Bolivie. Elle s’inscrit dans cette dimension initiée par Hugo Chavez d’une redistribution des cartes de l'énergie. Le président du Venezuela plaide pour un Petrosur, qui permettrait de coordonner les politiques énergétiques du Venezuela, du Brésil et de l'Argentine. Le nationalisme pétrolier risque de l'emporter sur une stratégie énergétique sud-américaine qui aurait illustré, selon M. Chavez, une nouvelle « révolution bolivarienne ». La crise a entraîné la suspension de certains investissements dans ce pays andin, redessiné la carte des approvisionnements et tendu les relations entre plusieurs pays voisins.
En octobre 2003, alors que le Venezuela était en proie à une agitation entretenue et cherchait des solutions pétrolières vers la Libye, une première « guerre du gaz » faisait quatre-vingts morts en Bolivie. Elle avait été provoquée par l'annonce de l'exportation d'hydrocarbures vers les Etats-Unis via le Chili, cible du nationalisme bolivien depuis la « guerre du Pacifique » (1879-1883), qui a privé la Bolivie d'un débouché sur la mer. Repsol avait alors renoncé au marché américain et aux investissements qu'il supposait, tandis que le Pérou en profitait pour vendre son gaz au Chili. De son côté, Petrobras avait avancé de deux ans l'exploitation du bassin gazier de Santos, au Brésil. La facture à payer en cas de départ des sociétés étrangères risque d'être lourde à tous les niveaux.

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