30.6.05

L'homme à tout faire de l'Europe est fatigué

LEMONDE.FR | 30.06.05 | 12h09 • Mis à jour le 30.06.05 | 12h46

Le Premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker, va céder le 1er juillet la présidence de l'Union européenne à son homologue britannique, Tony Blair. En six mois d'exercice, M. Juncker est un peu devenu l'homme à tout faire de l'UE, vers qui tous les regards se tournent dès qu'il y a un problème à régler dans une Union qui n'en manque pas.
Cherche-t-on un président de la Commission ? C'est tout naturellement au doyen du Conseil européen, malgré son relatif jeune âge (50 ans) que l'on propose la fonction en 2004 : il déclinera l'invitation unanime de ses homologues.

"VIEILLE ÉCOLE"

Lassé par leur insistance, Jean-Claude Juncker devra presque se fâcher pour leur faire comprendre qu'il avait promis aux électeurs luxembourgeois qu'il resterait à son poste en cas de réélection en juin 2004 et qu'il n'est pas homme à trahir sa parole.
"Je suis un homme politique de la vieille école", avait-il confié avec son léger accent luxembourgeois. "Je pense que celui qui fait après une élection ce qu'il avait annoncé qu'il ferait ne devrait pas être traité comme l'idiot du village."
Veut-on doter l'Eurogroupe, le forum de coordination des politiques économiques de la zone euro, d'un président stable ? C'est évidemment au "plombier de service" de l'UE que l'on pense : l'homme, qui est également ministre des finances depuis seize ans au grand-duché, finira par accepter le 10 septembre 2004 un mandat de deux ans commencé le 1er janvier.
Depuis, comme par miracle, ce cénacle s'est mis à fonctionner de manière plus efficace et est parvenu en mars à un accord sur la réforme du pacte de stabilité de l'euro que l'on disait impossible quelques mois auparavant.

"LE MEILLEUR"

"C'est le meilleur", a déclaré le ministre des affaires étrangères néerlandais, Gerrit Zalm. D'ailleurs, ses homologues pensaient déjà à lui pour occuper le poste de premier président du Conseil européen prévu par la Constitution pour faire fonctionner une mécanique grippée.
Mais M. Juncker a d'autres préoccupations maintenant : la Constitution a reçu deux coups peut-être mortels en France et aux Pays-Bas, et lui-même risque sa survie politique. Il s'est en effet engagé à démissionner si les Luxembourgeois rejetaient à leur tour ce texte lors du référendum prévu le 10 juillet dans son petit pays.
Le chrétien-démocrate luxembourgeois semble avoir perdu une partie de son humour légendaire dans ces épisodes. "Il faut constater ce soir que l'Europe ne fait plus rêver", disait-il le 29 mai, quelques minutes après la confirmation que les Français avaient torpillé une Constitution que ce fédéraliste souhaitait ardemment voir entrer en vigueur.
"On va la défendre !", avait-il martelé. Mais il s'est vite rendu compte que le sauvetage était plus délicat qu'il ne l'imaginait et il a exhorté l'Union européenne à réfléchir aux raisons du non tout en donnant cette semaine un signal positif en adoptant le budget pour l'UE élargie. Il a cependant reconnu, mercredi, que même cet objectif pourrait être hors de portée, les Vingt-Cinq n'étant pas prêts à faire preuve d'esprit de compromis et le Royaume-Uni défendant bec et ongles sa"ristourne" obtenue en 1984.

L'HOMME DES MISSIONS IMPOSSIBLES

"Une chose est sûre, dit un diplomate européen, s'il y en a un qui peut réussir, c'est Juncker et personne d'autre." Rares en effet sont les hommes politiques qui peuvent se vanter de faire à ce point l'unanimité dans une UE où les coups bas sont beaucoup plus fréquents que les compliments sincères.
C'est que, depuis des années, "Jean-Claude", comme on l'interpelle sans façon dans son pays de 450 000 habitants, est l'homme des missions impossibles de l'Union. Ce centriste s'est fait, depuis son accession au poste de premier ministre en 1995, une spécialité du rapprochement des points de vue français et allemand, souvent opposés.
Il avait ainsi réussi en 1997 à désamorcer la crise entre l'Allemagne et le gouvernement socialiste français, qui remettait en cause le pacte de stabilité budgétaire. Alors que son pays, l'un des plus riches du monde, est impeccablement bien géré au regard du pacte, il avait su en 2004 s'éloigner des positions ultra-orthodoxes de l'euro, offrant son appui à la France et à l'Allemagne en délicatesse avec ce pacte.
Les particularités de la politique luxembourgeoise font de ce fumeur invétéré au teint crayeux doublé d'un bon vivant un personnage doué pour dénicher des compromis introuvables. Ministre des finances, il connaît les contraintes ; premier ministre depuis plus longtemps qu'aucun autre membre du Conseil européen, il effectue les derniers arbitrages et tutoie tous les autres membres, dont il connaît les arguments par cœur.
M. Juncker, qui a fait ses études universitaires à Strasbourg, ville symbole de la réconciliation franco-allemande, est également avantagé par ses qualités de polyglotte. Parfait trilingue français-allemand-anglais, il maîtrise les subtilités de la langue des principaux protagonistes du débat, mais peut aisément s'isoler avec sa garde rapprochée en parlant luxembourgeois, une langue bien plus rarement comprise.
Fils spirituel de l'ancien chancelier allemand Helmut Kohl, qui l'appelait familièrement "Junior", ce "conservateur" - le qualificatif est de lui - né dans une famille pauvre, a une fibre sociale telle qu'il a parfois été qualifié de partisan du"old Labour", allusion aux dinosaures chassés par Tony Blair.

Avec Reuters

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