29.6.05

Le prosyrien Nabih Berri est réélu à la tête du Parlement libanais

LE MONDE | 29.06.05 | 13h36  •  Mis à jour le 29.06.05 | 13h36
BEYROUTH de notre envoyée spéciale

Le jeu de mots est en vogue au Liban : "Comme Syriens étaient arrivés." Comme si rien n'était arrivé... Malgré les manifestations géantes de Libanais réclamant "la souveraineté et l'indépendance" de leur pays, malgré le départ des troupes syriennes de leur territoire, malgré la victoire aux élections législatives de l'opposition antisyrienne, Damas conserve un puissant outil de contrôle au Liban grâce à l'élection, mardi 28 juin, de l'un de ses plus fidèles alliés, le chef du parti chiite Amal, Nabih Berri, à la présidence du Parlement.
A l'issu d'un vote à bulletin secret, M. Berri a recueilli les voix de 90 députés sur 128. Trente-sept bulletins blancs ont constitué la seule forme de protestation à la réélection du dirigeant chiite. Celui-ci se voit donc remettre, pour la quatrième fois consécutive, et pour un mandat de quatre ans, la charge de président du Parlement.
Pourquoi les députés, dont la majorité absolue appartient au clan antisyrien, ont-ils voté pour lui ? Même si la Constitution ne le précise pas, l'usage veut que la fonction de président du Parlement revienne à un Libanais de confession chiite. Le seul concurrent sérieux de M. Berri était le député Hussein Husseini, lui-même ancien président du Parlement, personnalité indépendante et influente dans la région chiite de Baalbek et qui avait placé sa candidature sous le signe "de la modération, du consensus et de la réforme" . Il l'a retirée après que le soutien proclamé du Hezbollah à M. Berri lui eut ôté toute chance de succès.
Un des enjeux de cette élection est le désarmement du Hezbollah, réclamé par la résolution 1559 des Nations unies et dont Nabih Berri est un farouche opposant. Même si l'opposition antisyrienne s'est ralliée à ce choix sous certaines conditions - notamment l'amnistie et la libération de l'ex-chef chrétien des Forces libanaises, Samir Geagea, qui purge une double peine à perpétuité pour des crimes commis pendant et après la guerre -, tout porte à croire que le nouveau mandat de M. Berri constituera avant tout un important frein aux changements. La longévité - un record dans l'histoire du Liban - de Nabih Berri à ce poste-clé, considéré comme "la deuxième présidence" , s'explique autant par son intelligence politique et sa fortune colossale que par son alliance indéfectible avec la Syrie.

TOUT À PROUVER

Né le 28 janvier 1938 à Freetown, en Sierra-Leone, il n'a pas "hérité" de son pouvoir. Quand sa famille retourne au Liban, en 1940, son père n'est qu'un notable respecté du petit village de Tebnine, dans le Sud. Après des études de droit à l'université de Beyrouth puis à la Sorbonne, à Paris, il se lance dans la politique comme avocat au service du Mouvement des déshérités Amal, fondé par l'imam Moussa Sadr, dont il devient le porte-parole. A la disparition de l'imam, dans des conditions jamais élucidées, au cours d'un voyage en Libye en 1978, M. Berri, qui vit alors aux Etats-Unis, est rappelé au Liban par le mouvement. Il en devient le patron officiel en 1983.
Alors que les foules chiites vibraient aux sermons de l'imam, Nabih Berri n'a jamais été un religieux. D'allure occidentale, citant à l'occasion Mao Zedong, il manie la rhétorique guerrière et celle du "complot" pour justifier son alliance avec la Syrie, qui entraîne et arme les milices d'Amal dès les premières années de la guerre civile (1975-1990). Les combats de Damas sont alors aussi ceux de Nabih Berri, contre la Force multinationale au Liban, jusqu'à son retrait, fin 1983, puis contre l'influence israélienne, lors de l'"Intifada" du 6 février 1984 contre le gouvernement d'Amine Gemayel. Amal se tourne ensuite contre les forces palestiniennes du Fatah, devenu ennemi juré de la Syrie lors de la "guerre des camps" de 1985 à 1988. La popularité d'Amal au sein de la communauté chiite a faibli parallèlement à l'ascension de son rival, le Hezbollah. Non sans quelques affrontements entre leurs milices, les deux partis chiites sont cependant restés alliés face à l'ennemi israélien. A partir de 1992, Nabih Berri devient le chef indétrônable du Parlement et s'impose comme le gardien des intérêts syriens au Liban. "Je ne suis pas un collaborateur de la Syrie, a-t-il déclaré en 2002 : je suis Syrien au Liban et Libanais en Syrie."
L'annonce de sa victoire au Parlement a été accueillie avec résignation chez ceux qui espéraient voir tomber ce symbole de l'ingérence syrienne au Liban. Le quotidien An-Nahar s'est consolé en expliquant que l'important n'était pas tant "le changement de personnalité que le changement de mentalité" . Mais en la matière, M. Berri a tout à prouver. La prochaine étape pour la coalition antisyrienne est la formation d'un nouveau gouvernement qui doit, selon la Constitution, obtenir l'approbation du président de la République, Emile Lahoud... un autre allié de Damas.

Cécile Hennion
Article paru dans l'édition du 30.06.05

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