11.6.05

Quand la Maison Blanche "corrige" des rapports sur le changement climatique

LE MONDE | 11.06.05 | 15h49  •  Mis à jour le 11.06.05 | 15h49

Que la Maison Blanche ne soit pas hostile aux positions de l'industrie pétrolière n'est un secret pour personne. Mais que cette proximité conduise à modifier la teneur de certains rapports scientifiques sur le changement climatique, voilà qui est moins banal. Dans son édition du 8 juin, le New York Times a révélé que le chef du conseil de la Maison Blanche pour la qualité de l'environnement, Philip Cooney, a apporté des modifications substantielles à des rapports décrivant les recherches sur le changement climatique déjà approuvés par des scientifiques appointés par le gouvernement (Le Monde du 11 juin).
Avant son arrivée à la Maison Blanche, en 2001, ce juriste de formation travaillait pour l'American Petroleum Institute. Emanation du lobby pétrolier, cet institut s'est ingénié à influer sur les négociations qui ont abouti au protocole de Kyoto sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
La stratégie était de minorer l'impact des émissions de CO2 d'origine humaine, principalement dues à la combustion des combustibles fossiles - en particulier le pétrole -, et de souligner les incertitudes concernant les sciences du climat. C'est au nom de ces incertitudes que George Bush a refusé de signer le protocole de Kyoto.
Cette ligne de conduite est contenue tout entière dans les extraits des interventions de M. Cooney sur des rapports de 2002 et 2003 révélés par le New York Times. Dans le texte original "Notre planète changeante" , de 2002, on pouvait lire que "de nombreuses observations scientifiques indiquent que la Terre connaît une période de changement relativement rapide" . Après correction de M. Cooney, la phrase en question disait que "de nombreuses observations scientifiques conduisent à la conclusion que la Terre pourrait être en train de connaître une période de changement relativement rapide."
Le conditionnel ne suffit pas toujours. Les textes relus par M. Cooney ont parfois subi une censure pure et simple. Certains paragraphes du "Plan stratégique pour le programme sur le changement climatique des Etats-Unis" ont ainsi été caviardés. En marge du texte original, qui énumérait les conséquences - délétères - du réchauffement, M. Cooney fait valoir que l'on "s'écarte là de la stratégie de la recherche pour évoquer des résultats scientifiques spéculatifs."
Le New York Times a été informé de ces multiples interventions par le Government Accountability Project (GAP), un groupe d'intérêt non lucratif, qui s'est donné pour mission de rendre publics les errements de l'administration dénoncés par les "whistleblowers" , des citoyens lanceurs d'alerte.
En l'occurrence, le GAP a fait écho aux dénonciations de Rick Piltz, qui a démissionné en mars du bureau gouvernemental chargé du Climate Change Science Program (http ://209.200.93.225/ template/index.cfm). M. Piltz détaille, dans un mémo de 14 pages daté du 1er juin, les manoeuvres constantes de l'administration américaine visant à minorer ou passer sous silence les rapports scientifiques consacrés au changement climatique.

AUTOCENSURE

En particulier, en 2000, un groupe de scientifiques indépendants et gouvernementaux avait été chargé de produire une "évaluation nationale des conséquences potentielles de la variabilité et du changement climatique" . Le rapport final rappelait que le réchauffement avait augmenté au cours des dernières décennies, et que sans un effort majeur de réduction des émissions de gaz à effet de serre, il s'intensifierait, avec des conséquences en termes de vagues de chaleur, de sécheresse mais aussi d'inondations et de "dislocation" économique.
L'équipe Bush s'est depuis lors évertuée à occulter ces conclusions. Chaque administration adopte une posture politique sur le sujet, admet M. Piltz, qui a été en poste pendant quatorze ans. "Mais je n'avais jamais vu une situation telle que celle qui s'est développée durant les quatre dernières années, au cours desquelles la politisation par la Maison Blanche a eu des conséquences directes sur le programme scientifique, au point de miner sa crédibilité et son intégrité" , écrit-il. M. Cooney évoque aussi un phénomène d'"autocensure" qui conduit certaines instances officielles à anticiper le point de vue des cercles présidentiels.
A vrai dire, ce n'est pas la première fois que la Maison Blanche est accusée de tordre les conclusions des scientifiques quand elles ne s'accordent pas à ses objectifs. Un rapport de 38 pages, signé notamment par une douzaine de Prix Nobel, avait ainsi été rendu public, début 2004, par l'Union des scientifiques inquiets (Union of Concerned Scientists, www.ucsusa.org) qui dénonçait déjà d'inquiétantes "distorsions" (Le Monde du 21 février 2004). Cette initiative n'avait guère ému John H. Marburger III, le conseiller scientifique de George W. Bush, pour qui l'administration n'était pas sortie de ses prérogatives.
La Maison Blanche fait aujourd'hui la même réponse à propos des interventions de M. Cooney. Un porte-parole a indiqué, mercredi 8 juin, qu'elles s'inscrivaient dans le jeu habituel de relecture des rapports officiels par de nombreux scientifiques et spécialistes des questions politiques. Le lendemain cependant, Philip Cooney démissionnait de ses fonctions.

Hervé Morin
Article paru dans l'édition du 12.06.05

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