13.6.05

Questions autour des mystérieux ravisseurs de Florence Aubenas

IRAK Les preneurs d’otages, dont les motivations restent à établir, étaient apparemment liés aux anciens réseaux baasistes de Saddam Hussein

Thierry Oberlé
[Le Figaro, 13 juin 2005]

Florence Aubenas et son guide irakien, Hussein Hanoun al-Saadi, ont été vraisemblablement prisonniers de l’un des multiples groupes clandestins d’obédience baasiste apparus, avec la poussée de la guérilla antiaméricaine, à Bagdad et dans les bastions sunnites du pays. Les diplomates et le milieu du renseignement international en ont acquis la conviction au fil des semaines. La structure du groupe et ses véritables motivations restent toutefois difficiles à établir. Ne serait-ce qu’en raison d’une stratégie de communication remarquable de discrétion.
Que voulaient les preneurs d’otages ? Ils ne l’ont jamais dit publiquement. Le groupe n’a pas de signature. Il n’a même pas pris la peine de choisir, comme le veut l’usage, un nom symbolique, celui d’un «martyr» de la cause ou d’un personnage historique. Il n’a pas de site Internet, pas de sigle. Il ne produit pas de textes idéologiques.
Le 1er mars, après 55 jours de silence, une cassette vidéo de Florence Aubenas est transmise à l’agence Reuters à Bagdad, dont le siège est situé dans la même rue que l’ambassade de France. Filmée sous la contrainte, la journaliste lance un appel à l’aide. «J’en appelle particulièrement à M. Didier Julia», précise-t-elle. L’évocation du député de Seine-et-Marne lié à l’ancien régime de Saddam Hussein est interprétée comme un signe d’une implication d’anciens baasistes, qui connaissent Didier Julia au moins de réputation.
Les réseaux qui dirigeaient l’Irak du temps de la dictature ont essaimé de nombreuses cellules de combattants, engagées dans une surenchère de violence. La capture d’étrangers, quel que soit leur pays d’origine, est, pour ces groupes, une arme parmi d’autres. Si une stratégie générale se dégage, il n’existe cependant aucun commandement unique qui coordonnerait les opérations menées par les insurgés. Les anciens baasistes se mêlent aux nationalistes, aux laissés-pour-compte de tous poils et aux djihadistes. À la différence de nombreuses prises d’otage d’Occidentaux, l’affaire Aubenas a provoqué peu de réactions et de commentaires sur les sites Internet islamistes. Ce désintérêt laisse à penser que les militants djihadistes, grands amateurs de forums de discussion, ne se sentent pas concernés. Il est difficile dans ces conditions d’établir les contours d’une organisation qui fait parler d’elle pour la première fois.
L’absence de revendication donne un caractère encore plus souterrain au mystère. Pourquoi les maîtres-chanteurs masquent-ils autant leurs motivations ? Dans quel but ? En l’absence de prétentions connues, l’hypothèse d’un chantage purement financier est avancée. Elle devient peu à peu récurrente.
Devenue une véritable industrie en Irak, le kidnapping est par nature crapuleux, même quand il se colore de revendications politiques. À l’époque, les contacts établis avec les ravisseurs ont du mal à se stabiliser. Le rôle d’intermédiaire est devenu, lui-même, un business dans lequel s’engouffrent de vrais et de faux informateurs avant tout avides de reconnaissance et d’argent.

Un tri s’opère.

Des intermédiaires fiables apparaissent. Des tractations serrées s’engagent. Des bruits courent sur le montant de la rançon susceptible d’être versée. Ils évoquent tous des sommes astronomiques. Les négociations comportent-elles un volet de contreparties politiques ? Il est question d’un dégel des avoirs irakiens en France. La rumeur est démentie par Paris.
Une influence syrienne est également évoquée. Accusée de jouer un rôle déstabilisateur, la Syrie est-elle entrée dans la danse des otages ? Peut-être. À en croire des officiels français, la présence de baasistes issus des rangs d’ex-services de sécurité irakiens, dans les mouvements insurrectionnels sunnites, favorise les rapprochements avec les services de sécurité syriens. C’est l’une des explications possibles au peu d’empressement des ravisseurs.
L’environnement du groupe est mieux cerné après la libération des otages roumains. Enlevés le 28 mars dans une banlieue de Bagdad, par une formation se faisant appeler «brigade de Mouadh Ibn Jabal», les journalistes Marie-Jeanne Ion, Sorin Miscoci et Eduard Ohanesian sont relâchés le 22 mai. Ils ont été retenus dans les sous-sols de la même maison que l’équipe de Libération.
Les preneurs d’otages gèrent ou sous-traitent avec d’autres groupes des prisons de fortune. «C’était un groupe bien organisé, qui savait bien quoi faire. Je crois qu’ils avaient des relations dans toutes les directions», raconte l’un des otages roumains. «De temps en temps, ils nous sortaient pour nous interroger. Ils nous demandaient si nous n’étions pas des espions, pourquoi nous étions en Irak...».
La coopération entre les autorités roumaines et françaises se révèle fructueuse. Le président Jacques Chirac s’en félicite au cours d’un entretien avec son homologue roumain Traian Basescu. Les témoignages détaillés des ex-otages roumains sont transmis aux agents français, ainsi que des informations aussi confidentielles qu’essentielles. Elles permettent de mieux comprendre la logique des preneurs d’otages, même si les deux groupes sont vraisemblablement distincts.
Les kidnappeurs des Roumains, qui agissent à l’instigation d’un homme d’affaires syrien, réclament le départ des troupes roumaines en Irak. Ils n’obtiennent pas gain de cause sur ce point, mais affirment avoir libéré leurs détenus à la demande de religieux musulmans roumains et d’un cheikh saoudien.
Une chape de plomb tombe sur l’épisode. Comme dans le cas de la journaliste italienne Giuliana Sgrena, le silence est respecté par Bucarest comme par les ravisseurs. C’est la loi du genre. Au deuxième jour de la libération de la journaliste française et de son guide, les questions ouvertes lors de sa disparition dans une rue de Bagdad le 5 janvier sont en grande partie toujours sans réponse.

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