13.6.05

Plaidoyer pour un rajeunissement de la scène politique

Considérant que l’optimisme et l’ouverture, la clairvoyance et le courage ne sont plus représentés

PAR ADRIANO FARANO *
[Le Figaro, 13 juin 2005]

Laurent Fabius a le sourire de ceux qui viennent d’abattre un carré d’as dans une partie de poker. Lors de sa première apparition télévisée après sa victoire au référendum du 29 mai, le leader du «non de gauche» à la Constitution annonçait avec nonchalance sa candidature aux élections présidentielles de 2007.
Sa campagne personnelle s’achève donc ainsi : sans appel pour une Europe sociale, sans initiative transnationale, sans conséquences politiques sérieuses et véritablement européennes à la hauteur des «lendemains qui chantent» que le triomphe du non au traité constitutionnel appelait. Demeure l’instrumentalisation d’une Constitution désormais jetée aux oubliettes à des fins purement électoralistes de la part de celui qui a su parier sur le malaise de larges couches de la population française.
Ce qui surprend dans la stratégie de Fabius, ce n’est pas tant l’indiscutable habileté du politicien que l’indifférence de l’homme pour le sort de l’Union européenne, considérée comme un moyen, un instrument pour remporter la course à l’Elysée. Leader historique de l’aile droite du PS, Fabius avait compris que le candidat socialiste des élections présidentielles de 2002, Lionel Jospin, avait perdu parce qu’il était trop modéré. Et que l’on ne pouvait profiter d’un taux de chômage désormais supérieur à 10% qu’en agitant le spectre du «libéralisme» de Bruxelles dans une campagne dès lors dramatisée. D’où les invectives contre les délocalisations et les travailleurs de l’Est qui seraient en train d’inonder le marché du travail français (alors que, selon les estimations du ministère du Travail, les travailleurs polonais arrivés en France depuis le 1er mai 2004 ne seraient pas plus de 8 000).
Mais, derrière ce jeu de hasard aux dépens d’une Europe à présent bloquée, il y a un problème générationnel. Fabius appartient à cette génération d’après-guerre qui n’a pas connu les horreurs et les difficultés qu’ont vécues les pères fondateurs de la construction européenne tels que De Gasperi et Adenauer, Mitterrand ou Kohl. La génération de Fabius, à laquelle appartiennent aussi Blair et Schröder, passera à la postérité pour avoir maintenu en vie un traité de Nice qui grave dans le marbre l’Europe des égoïsmes nationaux et du déficit démocratique.
Le problème est que l’Europe du programme Erasmus et d’Internet, l’Europe des nouvelles générations est cruellement absente de la scène politique. Ainsi, elle laisse le champ libre à une nouvelle classe de démagogues : moins arrogants que leurs prédécesseurs, affables, amicaux comme le trentenaire Olivier Besancenot, porte-parole de la Ligue communiste révolutionnaire en France. Ou comme le leader néerlandais du non à la Constitution, le quarantenaire peroxydé Geert Wilders. Sorti vainqueur du référendum du 1er juin, Wilders, qui séduit les électeurs avec le slogan «Les Pays-Bas doivent durer», réclame le titre d’héritier de Pim Fortuyn, le très controversé leader populiste et islamophobe assassiné en 2002. Opposé à l’immigration («Les Pays-Bas sont déjà pleins»), critique vis-à-vis de l’euro, il incarne un style jeune tout en étant autant dangereux qu’un Haider ou un Bossi. Un style qui a en tout cas payé, si l’on en juge par le score du non hollandais (61,6%) et par la participation (62,8%).
Mais, si elles veulent dire non à Wilders et à Fabius, au populisme trendy de droite hollandais et à la néo-xénophobie de gauche française, les nouvelles générations doivent faire émerger des alternatives démocratiques et transnationales libérales ou réformistes à la politique de la peur. Car, aujourd’hui, l’optimisme et l’ouverture, la clairvoyance et le courage ne sont plus représentés sur l’échiquier politique.
Ne soyons pas dupes : la Constitution, rejetée par deux pays fondateurs, est morte. Retroussons-nous les manches.

* Rédacteur en chef du magazine européen cafebabel.com

(Traduit de l’italien par Simon Loubris).

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