21.7.05

"Il faut prendre au sérieux la menace contre l'Europe"

Magnus Ranstorp, directeur du Centre d'études sur le terrorisme à l'université de Saint Andrews

LE MONDE | 21.07.05 | 13h42 • Mis à jour le 21.07.05 | 13h42

Estimez-vous, après la publication sur le Web d'un récent communiqué des "Brigades Abou Hafs Al-Masri-Division Europe", liées, semble-t-il, à Al-Qaida et exigeant un retrait des troupes étrangères d'Irak, qu'une menace pèse sur l'Europe ?

On sait que des Etats européens sont, depuis un moment, l'objet de menaces précises, dont le Danemark et l'Italie. Dans ce dernier pays, un débat sur la présence en Irak est lancé. Des groupes tentent sans doute de l'accélérer, espérant provoquer un retrait italien d'Irak.
Tous les services de renseignement estiment, je pense, qu'il faut prendre au sérieux ces dernières menaces contre l'Europe, sans connaître précisément leur origine.
La grande question, après les attentats de Londres, est celle des relations entre la cellule qui a commis ces actions et certains relais étrangers, au Pakistan ou au Bangladesh. Il est clair que les services occidentaux ont une meilleure connaissance des autres filières terroristes, notamment maghrébines.
La situation est donc plus dangereuse et plus imprévisible qu'avant. Le fait que la France ferme ses frontières et suspende les accords de Schengen montre bien la préoccupation d'un pays qui sait qu'il peut être l'une des prochaines cibles. Les Pays-Bas ou l'Espagne ne me semblent pas davantage à l'abri.

Les Etats européens réaffirment régulièrement la nécessité d'une meilleure coopération dans la lutte antiterroriste. Quel bilan faites-vous de ce qui a été accompli depuis les attentats commis aux Etats-Unis en 2001 et en Espagne en 2004 ?

Les relations fonctionnent bien sûr le plan bilatéral. Le Centre de situation, le Sitcen, créé par l'Union européenne, joue un rôle stratégique important en matière de coordination. Europol est, en revanche, extraordinairement invisible. Il est clair, par ailleurs, que certains Etats restent plus faibles que d'autres. Quoi qu'on en pense, le récent arrêt de la Cour constitutionnelle allemande aboutira à ce que des groupes terroristes continuent de choisir ce pays comme refuge.
L'un des grands défis reste la conversion des renseignements obtenus en preuves devant un tribunal. L'Europe a échoué dans ses tentatives de traduire certaines personnes en justice tout en préservant les libertés civiles. Le plus grand enjeu actuel me semble toutefois d'empêcher la radicalisation de certains musulmans et le recrutement d'une nouvelle génération de djihadistes.

A Bruxelles, la Commission comme le Conseil ont évoqué cette question. Quelles initiatives faut-il promouvoir ?

Il faut notamment que la Commission finance des études approfondies, et sur le long terme. Il faut développer une véritable capacité d'expertise européenne, sans réduire le débat sur la sécurité à des questions techniques. Nous savons tous que la radicalisation s'opère via trois canaux : les mosquées radicales, les prisons et Internet. Il faut travailler sur ces trois terrains, sans oublier celui de l'intégration sociale, et il faut développer une approche véritablement stratégique.
En centralisant d'abord les expériences acquises dans les divers Etats membres et en tirant les leçons des efforts entrepris par nos partenaires méditerranéens, comme la Jordanie, le Maroc ou le Yémen, qui tentent de prévenir les phénomènes de radicalisation et d'endiguer les progrès de l'idéologie d'Al-Qaida.

Quel rôle joue l'Irak dans la radicalisation que vous évoquez ? Et comment Al-Qaida exploite-t-elle la situation ?

Il est clair que le conflit irakien comme la Palestine servent de substrat idéologique aux extrémistes qui tentent d'encourager la radicalisation avec une information unilatérale sur ces conflits. Mais cette évolution est encouragée par bien d'autres éléments. Il faut, par ailleurs, tenir compte du fait que le réseau d'Abou Moussab Al-Zarkaoui cible particulièrement l'Europe, surtout l'Allemagne.
Pour ce qui est d'Al-Qaida, c'est, aujourd'hui, à la fois un "label" , une idéologie, une sorte de "drapeau révolutionnaire" et un groupe qui entend combattre "l'ennemi proche" ­ le Pakistan, l'Arabie saoudite, le Yémen la Jordanie, mais aussi le Nigeria ­ et "l'ennemi lointain" , l'Europe et les Etats-Unis.
Il reste en tout cas beaucoup de travail à accomplir pour mettre à mal l'ancienne Al-Qaida, alors que la nouvelle Al-Qaida se régénère via, notamment, Internet.

Propos recueillis par Jean-Pierre Stroobants
Article paru dans l'édition du 22.07.05

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