29.7.05

La guerre crédibilise Al-Qaeda

Le conflit irakien renforce la détermination des terroristes islamistes à agir contre l'Occident.

Par Pascal BONIFACE
PASCAL BONIFACE est directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques à Paris.

Liberation, vendredi 29 juillet 2005
 
Nous sommes tous confrontés à la menace terroriste. Elle peut frapper chacun d'entre nous, quelles que soient nos convictions. Pourtant, si chacun parmi nous ou parmi ceux qui nous sont chers peut être victime demain, nous divergeons sur les moyens de faire face à cette menace, présente pour longtemps. Sommes-nous attaqués pour ce que nous sommes ou pour ce que nous faisons ? Il est vrai que les terroristes éprouvent de la haine pour les sociétés démocratiques occidentales. Ils nous attaquent donc pour ce que nous sommes. Mais cela n'explique pas que le terrorisme se développe aujourd'hui.
Car ce que nous faisons est également en cause. Si la guerre d'Irak n'a pas créé le terrorisme, elle l'a néanmoins développé. Cette guerre menée au nom de la lutte contre le terrorisme est en réalité venue le nourrir, et c'est d'ailleurs ce que craignaient les opposants à ce conflit. Et ce n'est pas un hasard si ce sont les partisans de cette guerre qui répètent aujourd'hui à l'envi que nous sommes attaqués pour ce que nous sommes, nous évitant ainsi de réfléchir à ce que nous faisons.
Le caractère désastreux pour la sécurité occidentale de cette guerre apparaissait déjà avant les attentats de Londres. Samuel Huntington (1), qu'on peut difficilement présenter comme un antiaméricain primaire avait d'ailleurs déclaré dès janvier que «l'invasion de l'Irak a été vécue par les musulmans comme une guerre contre l'islam», et qu'il était évident qu'en agissant ainsi, «les Etats-Unis allaient générer de plus en plus de terrorisme...». En juin 2005, la CIA estimait que l'Irak était devenu un terrain d'entraînement pour les extrémistes islamistes, plus efficace que l'Afghanistan. Pourtant, au même moment, le président George W. Bush déclarait : «Notre politique est en train de réussir et nous allons réaliser notre mission, au bénéfice de la paix mondiale.»
Faut-il rappeler à George W. Bush qu'il a souvent justifié la guerre d'Irak en affirmant qu'il était préférable de combattre les terroristes là-bas, plutôt que de les voir attaquer le monde occidental ? Alors on comprend que les officiels britanniques aient nié et nient toujours tout lien entre la guerre d'Irak et les attentats de Londres. Pourtant le Royal Institute for International Affairs (RIIA), qui n'est pas précisément un repaire d'altermondialistes, vient de publier une étude selon laquelle le soutien apporté par la Grande-Bretagne à la campagne militaire d'Irak a accru les risques d'attentats contre les Britanniques, suscitant cette réflexion du ministre des Affaires étrangères, Jack Straw, qui déclarait qu'«il n'est plus temps de trouver des excuses au terrorisme».
On voit bien ici où mène ce raisonnement, à la limite du terrorisme intellectuel. Peut-on dire que tous ceux qui s'inquiètent de la façon dont est menée la guerre antiterroriste cherchent des excuses au terrorisme ? Non. Ils cherchent à comprendre, afin de trouver les moyens de mieux combattre un terrorisme qui les concerne tout autant.
On ne peut admettre le raisonnement selon lequel «ceux qui ne sont pas avec nous sont avec les terroristes.» Et Jack Straw ferait mieux de réfléchir à l'impact non pas de l'étude du RIIA, mais à celui de la déclaration de son collègue de la Défense qui, interrogé le 4 avril 2003 par la BBC, déclarait : «Les conséquences sont terribles, mais les mères des enfants tués par ces bombes à fragmentation remercieront un jour les Britanniques de les avoir employées dans le but de leur donner la possibilité qu'elles décident, par elles-mêmes, du futur de leur pays.»
Le risque aujourd'hui est celui de l'engrenage, celui de renforcer une politique qui se nourrit de son propre échec. Lorsque la maison du voisin brûle, on ne s'arrête pas aux différends de voisinage et aux critiques que l'on pouvait avoir sur son comportement. Mais l'aide n'implique pas d'adopter par la suite un comportement qu'on jugeait auparavant néfaste et qui risque d'aggraver le mal. La coopération policière et judiciaire, celle des services de renseignements ne se discute pas. Mais adopter la politique actuelle anglo-américaine de guerre contre le terrorisme au moment même où son échec est patent mérite pour le moins un examen critique. La priorité absolue donnée aux réponses militaires n'a débouché que sur plus de violences et d'attentats. Et on va nous demander, du fait de ces attentats, de durcir les réponses militaires ? C'est bien là le piège, à savoir se rallier au nom de la condamnation du terrorisme à une guerre qui telle qu'elle est menée n'a pas de fin, la victoire étant un horizon qui s'éloigne au fur et à mesure qu'on s'en rapproche. On ne peut pas laisser les pompier-pyromanes dicter la politique de prévention des incendies.
Tony Blair en est d'ailleurs conscient, lui qui affirme que pour lutter contre le terrorisme, il faut remonter aux racines du fléau et apporter des réponses politiques aux problèmes du Proche-Orient. Mais du fait de son suivisme à l'égard de Washington, il ne peut qu'émettre un diagnostic exact, sans pouvoir mettre en oeuvre le remède.
Si nous ne devons pas changer ce que nous sommes, soyons plus attentifs à ce que nous faisons. Malgré les déclarations de bonnes intentions et le discours de refus du choc des civilisations, la politique définie par Washington et suivie par Londres est perçue par beaucoup - et y compris en dehors du monde musulman - comme une politique d'agression, donnant plus de crédibilité aux diatribes des leaders d'Al-Qaeda. Le recours au mensonge pour convaincre les opinions est venu anéantir la crédibilité du discours américain.
On peut certes passer par pertes et profits les 100 000 morts de la guerre, et affirmer que l'Irak disposait d'un important arsenal d'armes de destruction massive, que tout est normal à Guantanamo, que seules des fautes individuelles expliquent Abou Ghraib, qu'il ne s'est rien passé de grave pour la population civile à Fallouja, que l'armée américaine traite avec respect la population irakienne, que la situation quotidienne des Irakiens est devenue enviable, que les Palestiniens auront bientôt un état viable. Mais alors ne faut-il pas s'étonner par la suite de n'être pas cru sur parole ? Il ne faut pas s'étonner que tant de mensonges, au nom des bienfaits de la démocratie et des valeurs de la société occidentale puissent nourrir chez certains un sentiment de haine qui rejaillit sur le monde occidental ? Si nous voulons que ce que nous sommes triomphe, encore faut-il que ce que nous fassions soit vraiment en conformité avec ce que nous proclamons et cesser avec les principes à géométrie variable. Et surtout ne pas, par nos erreurs, faciliter la tâche de nos adversaires. L'objectif est bien de réduire l'impact que le discours de Ben Laden peut avoir.

Dernier ouvrage paru : Vers la 4e guerre mondiale ?, éditions Armand Colin.

(1) Professeur américain de sciences politiques de tendance conservatrice, auteur du Choc des civilisations.

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