21.7.05

Moins féconde, vivant plus longtemps, l'humanité vieillit

LE MONDE | 21.07.05 | 13h18  •  Mis à jour le 21.07.05 | 13h31

La diminution de la fécondité et l'allongement de la durée de la vie entraînent le vieillissement démographique généralisé de la planète." C'est l'avertissement lancé par près de 2 000 chercheurs - démographes, économistes, sociologues, géographes, urbanistes, spécialistes de santé publique - réunis du 18 au 23 juillet à Tours, pour le 25e Congrès international de la population.
Leurs projections dessinent, pour les prochaines décennies, le visage d'une population mondiale à la croissance ralentie, à l'espérance de vie accrue et aux clivages Nord-Sud toujours très marqués. Au passage, elles dissipent nombre d'idées reçues. Voici à quoi pourrait ressembler l'humanité de demain.
Deux à quatre milliards de terriens en plus. Il y a peu encore, les démographes dépeignaient une Terre peuplée, au mitan du siècle, de 15 milliards d'individus. Leurs prévisions ont été revues à la baisse. En 2050, la population mondiale, actuellement de 6,5 milliards de personnes, devrait se situer entre 7,6 milliards (variante basse des projections des Nations unies) et 10,6 milliards (variante haute).
A court et moyen terme, la subsistance de ces 2 à 4 milliards d'être humains supplémentaires constitue le défi majeur auquel sont confrontés les gouvernements. D'autant que cette croissance sera très inégalement répartie. Elle sera, pour l'essentiel, le fait des pays du Sud. Singulièrement de l'Afrique, qui - contrairement à ce que l'on imagine souvent en songeant aux ravages du sida - devrait voir sa population presque doubler, pour atteindre 1,5 milliard d'habitants. Très touchée par l'épidémie, l'Afrique du Sud risque de voir sa population décroître, de 44 à 31 millions, mais celle du Niger, relativement épargnée, quadruplerait pour atteindre 47 millions. "Huit à dix milliards d'humains, c'est beaucoup, mais c'est gérable, estime Catherine Rollet, présidente du comité d'organisation du congrès . Il faut réfléchir à la façon dont les ressources sont réparties dans le monde."
A long terme, c'est la décélération de la croissance démographique qui préoccupe les experts. Le taux annuel d'accroissement de la population mondiale, après avoir culminé à plus de 2 % à la fin des années 1960, n'a depuis cessé de décliner, pour chuter à 1,2 % sur la période 2000-2005. Vers le milieu du siècle, la courbe démographique devrait s'inverser et la population mondiale commencer à décroître.
Une fécondité basse. Plus de la moitié de l'humanité vit dans un pays où la fécondité est inférieure à 2,1 enfants par femme, niveau assurant le remplacement des populations, soulignent les statisticiens. Ce phénomène n'est plus cantonné aux pays développés, même s'il y est le plus marqué, à l'image du Japon (1,3 enfant par femme) et de l'Union européenne (1,4). Il touche aussi les pays du Sud, en particulier la Chine (1,6). Si l'Inde résiste mieux, avec un indice national de 3, le renouvellement des générations n'est plus assuré dans plusieurs de ses Etats. La fécondité reste en revanche élevée dans beaucoup de pays africains, la palme revenant au Niger (8 enfants par femme).
S'agit-il d'une tendance passagère ? Les Nations unies considèrent, au contraire, que la "très basse fécondité pourrait durer". Elles retiennent désormais, dans leurs scénarios pour le demi-siècle à venir, l'hypothèse de la mise au monde de 1,8 enfant par femme.
Une espérance de vie accrue mais inégale. La durée de vie s'allonge sur tous les continents et les écarts s'amenuisent. Au cours des cinq dernières années, elle a progressé de presque deux ans en Asie du Sud, deux fois plus qu'en Europe de l'Ouest.
Mais de très forts contrastes subsistent. Quand les Japonais, champions du monde de la longévité, ont une espérance de vie à la naissance de 82 ans, beaucoup d'habitants d'Afrique noire ne dépassent pas la moitié de cet âge. Dans les pays les plus touchés par le sida, l'espérance de vie régresse sévèrement (chute de 14 ans en Afrique du Sud et de 20 ans au Zimbabwe). La Zambie détient le record de l'espérance de vie la plus courte, 37 ans. La Russie et l'Ukraine restent à l'écart du progrès, avec des scores médiocres de 65 et 68 ans.
Demain, être centenaire ou supercentenaire (plus de 110 ans) deviendra-t-il la norme ? Ni les démographes ni les médecins ne sont en mesure de répondre. Mais on assiste à une transformation du tableau des décès. Dans les pays les plus avancés, la mortalité cardio-vasculaire recule et les cancers sont sur le point de devenir la première cause de décès. Dans la plupart des pays en développement, maladies cardio-vasculaires et cancers sont en passe de prendre le pas sur les maladies infectieuses aiguës.
Une population âgée. Selon les Nations unies, la part des plus de 60 ans dans la population mondiale, actuellement de 10 %, grimpera à 21 % en 2040. L'âge médian s'élèvera, dans le même laps de temps, de 26 à 37 ans.
Inéluctable, le vieillissement n'épargnera aucune région du globe. Alors qu'en France il a fallu un siècle pour que la proportion des plus de 65 ans passe de 8 % à 15 %, la Chine vivra ce bouleversement en vingt ans seulement, entre 2010 et 2030. Ce sera, insistent les démographes réunis à Tours, "l'un des changements sociaux les plus importants du XXIe siècle". "Les systèmes de retraite des pays du Nord doivent évoluer pour assurer des conditions de vie aussi favorables qu'aujourd'hui aux seniors de demain. Mais le véritable défi se situe dans les pays du Sud, préviennent-ils. Le vieillissement démographique va y être beaucoup plus rapide qu'au Nord, alors que la solidarité familiale s'érode sans qu'une solidarité collective prenne le relais. Elle reste à inventer pour éviter que les adultes d'aujourd'hui ne finissent leur vie dans la misère."

Pierre Le Hir
Article paru dans l'édition du 22.07.05

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