24.8.05

Décolonisée, Gaza reste entravée

Evénement

Palestine

L'avenir des Palestiniens est suspendu à l'ouverture des frontières par Israël. Une question essentielle mais toujours floue.

Par Didier FRANCOIS
mercredi 24 août 2005

Gaza envoyé spécial

Trois chèvres défient la pesanteur, le cou tendu, en équilibre instable sur l'escarpement de l'aber, au risque d'un plongeon dans la mer. Le vieux bédouin qui les garde n'en a cure, il somnole sur sa canne à l'ombre d'un immense panneau à l'intitulé ronflant : «Projet de construction du port maritime de Gaza, financé par les gouvernements des Pays-Bas et de la France.» Il faut toutefois une solide imagination pour concevoir des docks et des grues sur cette bande de terre sablonneuse. L'estuaire retenu par les ingénieurs pour creuser une rade est à peine une faille dans le rivage. Et les toutes premières infrastructures, inaugurées en grande pompe l'été 2000, n'ont pas résisté aux chenilles des blindés israéliens. Les chars ont détruit ce symbole de l'autonomie palestinienne dès le début de l'Intifada. Les carcasses du chantier rouillent depuis cinq ans. Aujourd'hui, la reprise de la construction de ce port en haute mer sera l'un des enjeux essentiels du retrait de Gaza.
Survie. «Bien sûr, on est content qu'ils s'en aillent, grommelle le berger. Lorsqu'ils [les Israéliens] décident de fermer la route, il nous faut marcher des heures sur la plage pour aller à la ville. Je suis vieux, ma femme est malade. Impossible de l'emmener à l'hôpital par un jour de bouclage. Ils interdisent même les ambulances.» Mais la grande interrogation des Gazaouites, c'est de savoir s'ils pourront retourner travailler ou vendre leurs produits en Israël. Voyager, commercer est affaire de survie dans ce territoire surpeuplé au taux de chômage record. Or pour l'heure, personne ne sait de quoi demain sera fait. «Que gagnerons-nous à ce retrait si Israël ferme toutes les portes ? demande le vieux bédouin. Rien ! Gaza restera une prison, plus grande, plus confortable, mais toujours une prison.»
Du côté des officiels, on tient à faire bonne figure. «Nous avons des tas de projets, assure Mohammed Dahlan, ministre des Affaires civiles et pilote du processus de récupération des terres évacuées. Dans ces nouveaux espaces, nous allons attirer les investisseurs, car ce retrait doit être bénéfique pour tous les Palestiniens. Netzarim, par exemple, devra servir de zone industrielle en arrière du port. Nous avons des promesses d'investissement à très court terme pour 100 millions de dollars, rien qu'à Gaza. Tout se fera dans la plus grande transparence... Les citoyens doivent vite voir les conséquences du retrait en termes de niveau de vie, de logement et d'emploi.»
Tant que la question du contrôle des frontières ne sera pas résolue, ces projets risquent de rester lettre morte. Quel entrepreneur privé choisirait de s'implanter à Gaza sans la garantie de pouvoir exporter sa production ? Les procédures de sortie de Gaza, totalement dépendantes des impératifs sécuritaires d'Israël, restent bien trop aléatoires pour attirer des capitaux, malgré le coût ridicule de la main-d'oeuvre. D'autant que le futur statut des «points de sortie» existants, Erez pour les personnes et Karni pour les marchandises, n'a toujours pas été éclairci. Une procédure de contrôle assouplie devrait être mise en place pendant une période transitoire d'un an, qui pourrait mener à une ouverture complète du transport par camions lorsque Israël estimera sa sécurité garantie.
Accès internationaux. Tant d'incertitude rend plus que vitale pour les Palestiniens l'ouverture d'accès internationaux. Trois options s'offrent à eux : un poste frontière avec l'Egypte, à Rafah, un aéroport au sud de Gaza et le fameux port autonome. «Des négociations sont en cours, assure Dahlan, et nous faisons de petits progrès.» Ainsi, l'aéroport pourrait être remis aux Palestiniens, mais sous la supervision de l'Egypte. Le gouvernement israélien a aussi donné son feu vert pour une relance de la construction portuaire. Un chantier de trois à cinq ans, d'un coût de 80 millions de dollars. Rien de concret à court terme. D'autant qu'il n'y a toujours pas d'accord sur le fonctionnement du port quand la marine israélienne conserve le contrôle absolu du large. Pas plus d'accord sur la réhabilitation de l'aéroport, qui pourrait se faire en six mois pour environ 20 millions de dollars. «Nous allons quand même entamer les travaux, promet Dahlan, puis nous négocierons. Car si nous n'avions aucun contrôle sur nos frontières, nos eaux territoriales et notre espace aérien, cela signifierait que ce retrait n'est qu'un nouvel avatar de la vieille occupation israélienne.»

 http://www.liberation.fr/page.php?Article=318942

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