24.8.05

La situation se détériore à Beyrouth

LIBAN Dixième attentat depuis l'assassinat de Rafic Hariri

Beyrouth : Sibylle Rizk
[Le Figaro, 24 août 2005]

Un nouvel attentat a secoué le Liban avant-hier soir après une trêve qui a duré un mois. Il s'agit de la dixième explosion après l'assassinat de l'ancien premier ministre Rafic Hariri, le 14 février dernier. Bien qu'elle n'ait pas fait de tués, elle maintient un climat d'insécurité devenu d'autant plus insupportable que les Libanais avaient fondé beaucoup d'espoir dans la capacité du nouveau gouvernement à tourner enfin une page de l'histoire du pays, libéré de la tutelle syrienne fin avril dernier.
La charge, estimée à une trentaine de kilos, a explosé lundi vers 22 h 30, dans une rue marchande de Zalka, une banlieue chrétienne du nord de Beyrouth. Trois personnes ont été blessées, les dégâts sont considérables. Le colis piégé a été déposé près d'un hôtel fréquenté par des vacanciers étrangers. Il s'agit d'un nouveau coup dur pour la saison touristique déjà fortement affectée par les turbulences politiques que traverse le Liban depuis plusieurs mois. Le rétablissement de la sécurité est ainsi devenu le principal leitmotiv des acteurs d'un secteur considéré comme l'un des fleurons de l'économie.
Comme au lendemain de chacun des précédents attentats, les déclarations révoltées se multiplient contre le «projet de déstabilisation du Liban», attribué implicitement ou explicitement aux «résidus de services sécuritaires libano-syriens». Mais cette fois, l'indignation des Libanais semble autant se diriger vers la classe politique que vers les auteurs des crimes. Car aucune des enquêtes ouvertes n'a encore abouti.
Six attentats ont visé des zones commerçantes, industrielles ou résidentielles, le dernier en date s'étant produit il y a un mois, dans un quartier très fréquenté par les noctambules, le soir même d'une visite surprise à Beyrouth du secrétaire d'État américain Condoleezza Rice. Deux autres ont successivement coûté la vie à l'intellectuel Samir Kassir et à l'ancien dirigeant communiste Georges Haoui, tandis qu'un troisième a miraculeusement épargné le ministre de la Défense, Élias el-Murr.
«Outre celui de vivre en sécurité, les Libanais restent toujours privés du plus élémentaire de leurs droits : demander des comptes, cela plus d'un mois après l'entrée en fonction du gouvernement Siniora», écrit par exemple le quotidien francophone L'Orient-Le Jour.
L'ensemble de la presse se faisait l'écho hier du pourrissement de la situation à la tête de l'État, qui se traduit notamment par le blocage persistant du processus de renouvellement des responsables des services de sécurité, des autorités judiciaires, des hauts fonctionnaires, etc. Les principaux responsables des services de sécurité ont notamment démissionné à la suite de l'assassinat de Rafic Hariri et la plupart de leurs postes sont encore vacants. Mais le président de la République, Émile Lahoud, a refusé de signer le décret de nominations présenté par le premier ministre Fouad Siniora, prolongeant une crise qui dure depuis plusieurs semaines.
Le blocage de ce dossier, pourtant jugé crucial, est un symptôme parmi d'autres de l'immobilisme et des atermoiements dans lesquels le Liban semble à nouveau englué. L'explication réside dans la stratégie de compromis qu'a choisie la coalition antisyrienne cristallisée par l'assassinat de Rafic Hariri. Après avoir décidé de s'allier à ses adversaires du Hezbollah et d'Amal, à travers l'adoption d'une loi électorale préservant leur poids politique, elle a reconduit à ses fonctions l'ancien président de la Chambre, Nabih Berri, et composé un gouvernement incluant des représentants du Hezbollah et du président de la République.
Certains analystes estiment que seule la publication du rapport d'enquête sur l'assassinat de Rafic Hariri sera en mesure de débloquer la situation. L'enquête a été confiée à une commission des Nations unies, présidée par le procureur allemand Detlev Mehlis. Le magistrat a déjà entendu une centaine de personnes, dont le chef de la garde présidentielle qui serait soupçonné d'avoir ordonné le nettoyage précipité des lieux du crime. Malgré une demande officielle en ce sens, il n'a en revanche pas encore interrogé les officiers militaires syriens qui contrôlaient le pays à l'époque des faits. Le magistrat devrait réclamer demain à l'ONU une prolongation de son mandat. S'il désigne clairement des coupables, le rapport pourrait contribuer à assainir le climat politique, disent les mêmes analystes. En attendant, le Liban continue de vivre dans la confusion, et l'inquiétude entretenue par les attentats.

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