31.8.05

Il n’y a pas d’alternative à l’adhésion

Alors que l’idée d’un «partenariat privilégié» fait des émules au sein de l’Union

PAR MARTTI AHTISAARI * ET ALBERT ROHAN **
[Le Figaro, 31 août 2005]

Largement médiatisées, les hésitations de certains des dirigeants européens à amorcer les négociations d’adhésion avec la Turquie le 3 octobre – comme il en a été convenu l’année passée – suscitent une déception croissante au sein du peuple turc. Une partie de l’opinion publique turque a toujours été convaincue que son pays ne serait jamais accepté au sein de l’Europe, et qu’à chaque fois que l’adhésion se profilerait, sa réalisation serait entravée par l’apparition de nouveaux obstacles. Certains d’entre nous ont tâché de persuader des amis turcs de faire davantage confiance à l’Union européenne – ce cercle de pays honorables qui respectent leurs engagements. Nous saurons bientôt si cette confiance était méritée.
Le 17 décembre dernier, le Conseil européen a fixé l’inauguration des négociations d’adhésion avec la Turquie au mois d’octobre prochain. Le gouvernement turc s’est vu imposer deux conditions : une vaste réforme juridique visant à renforcer la prééminence du droit et le respect des droits de l’homme, et l’adoption du protocole d’adaptation de l’accord d’Ankara, qui étend l’union douanière avec l’Union européenne à tous les nouveaux États membres, y compris à la république de Chypre. La Turquie a rempli ces conditions : la réforme juridique est entrée en application le 1er juin, et le protocole a été signé le 29 juillet.
La reconnaissance officielle de la république de Chypre par la Turquie – et notamment de son prolongement à la partie septentrionale de l’île – ne fait pas partie des conditions préliminaires à l’ouverture des pourparlers. Il s’agit là d’une question complexe dépendante des efforts entrepris par le secrétaire général de l’ONU Kofi Annan pour négocier un accord global menant à la réunification de l’île.
L’année dernière, les propositions du secrétaire général, qui bénéficiaient de l’assentiment de la Turquie et de la communauté chypriote turque, ont cependant été rejetées par les Grecs chypriotes. Il y a toutes les raisons de penser qu’Annan reprendra bientôt ses bons offices et qu’il trouvera une issue positive à ce problème bien avant 2015, date à laquelle est fixée la possible adhésion de la Turquie à l’Union européenne. La question du statut de Chypre ne devrait donc pas être considérée à tort comme un obstacle à l’ouverture des négociations.
De même, contrairement à ce que certains dirigeants européens semblent suggérer, le soi-disant concept de «partenariat privilégié» – qui fait explicitement partie du cadre des négociations – ne saurait constituer une alternative à l’adhésion complète. Cette proposition a été débattue et rejetée lors du Conseil européen de décembre dernier, et les conclusions du Conseil y font référence sous la mention «négociation ouverte». Cette terminologie, qui n’avait jamais été utilisée lors des élargissements précédents, a pu froisser la Turquie. Elle a été finalement acceptée car interprétée comme une ambiguïté constructive, de ce genre d’équivoques si souvent utilisé en diplomatie internationale.
Cependant, la nature même des négociations ne laisse pas de doute sur l’objectif poursuivi, qui ne peut être que l’adhésion complète de la Turquie. Sans cette perspective, aucun pays candidat ne s’infligerait la douloureuse procédure d’adoption des dizaines de milliers de lois et des règlements contenus dans l’«Acquis communautaire» – ensemble des lois de l’UE. Après tout, le but principal des négociations d’adhésion est de s’assurer que le candidat se conforme à ces conditions.
En outre, il est difficile d’imaginer quels avantages pourraient être offerts à la Turquie dans le cadre d’un «partenariat privilégié» au-delà de son statut à long terme de membre associé de l’Union européenne. L’union douanière conclue il y a dix ans permet le libre-échange de tous les produits, hormis ceux de l’agriculture. D’ores et déjà, la Turquie est invitée à des réunions du Conseil, a la possibilité de participer à divers programmes européens et à des manifestations de la politique étrangère européenne commune. De plus, en tant que membre de l’Otan, la Turquie est également un partenaire de la coopération entre l’Otan et l’Union européenne en ce qui concerne les questions de sécurité. Enfin, à l’instar de tous les pays candidats, la Turquie bénéficie d’une assistance financière et technique pour soutenir ses programmes actuels de réforme. On voit difficilement quelle valeur ajoutée pourrait parfaire les relations entre l’Union européenne et la Turquie en dehors d’une adhésion à part entière.
Le commissaire à l’élargissement Olli Rehn l’a énoncé avec la clarté qui s’impose : «Si – comme c’est notre devoir – nous restons fidèles à ce que nous avons décidé au plus haut niveau politique au sein du Conseil européen, j’ai la certitude légitime que les négociations débuteront le 3 octobre.»
Cette déclaration est tout à l’honneur de la Commission européenne. Il n’y a pas grand-chose à y ajouter, sinon peut-être rappeler que le rôle des gouvernements européens est de traiter la Turquie avec l’équité que méritent tous les pays candidats.
Revenir sur des décisions officielles et sur des promesses ou opposer des obstacles de dernière minute reviendrait à décrédibiliser l’Union européenne. Il est dès lors impératif que les négociations commencent le 3 octobre.

* Ancien président de Finlande, il préside la Commission indépendante sur la Turquie. ** Ancien directeur général du ministère des Affaires étrangères autrichien. (Copyright : Project Syndicate, 2005. www.project-syndicate.org Traduit de l’anglais par Bérengère Viennot).

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