25.8.05

La démocratisation de l'Afghanistan est minée par le clientélisme

LE MONDE | 25.08.05 | 13h23  •  Mis à jour le 25.08.05 | 13h43
KABOUL de notre envoyée spéciale

moins d'un mois des élections législatives et provinciales, la Commission indépendante afghane des droits de l'homme (AIHRC) et la Mission d'assistance des Nations unies pour l'Afghanistan (Unama) ont dressé à Kaboul un bilan pour le moins mitigé des droits politiques des 12 millions d'Afghans inscrits pour ces deux scrutins.
A première vue, le nombre de candidats - 5 805 dont 583 femmes - est un signe positif de l'intérêt porté à cette nouvelle étape de la normalisation politique. Mais le passé d'un certain nombre d'entre eux a de quoi inquiéter.
Le processus de veto qui devait théoriquement éliminer chefs de guerre, criminels ou trafiquants n'a pas résisté au clientélisme politique qui sévit à Kaboul. "Les résultats du processus de veto des candidats ont déçu, et le fait que la vaste majorité des exclus provisoires aient été réhabilités a conduit à un plus grand désappointement" , note le rapport de l'AIHRC et de l'Unama.
Dans un premier temps, plus de 1 000 candidats ayant des liens avec des groupes armés avaient été mis sur une liste d'exclusion. Très vite, celle-ci s'est réduite sous l'action des autorités à 208 noms.
A la fin, la liste n'a exclu que 17 personnes. "Parmi les 208, 86 commandants ont coopéré, si bien que nous avons reçu entre 10 000 et 18 000 armes en très peu de temps" , note, sous le sceau de l'anonymat, un membre du panel électoral. Mais "seuls les commandants margi nalisés ont obéi, car tous ceux ayant des connexions en haut lieu ont été repêchés" .
Les cas de 18 commandants, sur un total de 28 accusés de conserver un nombre significatif d'armes et d'hommes, ont toutefois été transmis à la Commission des plaintes électorales (ECC). Cet organisme indépendant, composé de trois experts internationaux et de deux Afghans, pourrait les exclure. Jusqu'au dernier moment, l'ECC a le droit d'éliminer des candidats. Mais les dix autres ont bénéficié de protections, une fois de plus. "Le gouvernement estime que ces gens sont tellement dangereux qu'on ne peut les exclure" , déplore un expert international.

"ATMOSPHÈRE DE PEUR"

Le problème est toutefois que ce sont ces candidats disposant de pouvoir, d'argent et d'appuis qui ont le plus de chances d'être élus. "Si seulement 4 % des candidats sont une réelle menace, cela représente quand même plus de 200 personnes qui ont de bonnes chances de siéger dans une chambre qui ne compte que 249 sièges" , note Nader Nadery, de la Commission des droits de l'homme.
Dans les provinces où les forces de sécurité locales sont quasi inexistantes, ces commandants ont tout loisir d'agir et, affirme M. Nadery, "l'atmosphère de peur affecte le processus". Le rapport conjoint de l'AIHRC et de l'ONU confirme qu' "un certain nombre de commandants essayent de dominer le paysage politique et d'influencer le processus électoral".
Un mécanisme de recours contre les candidats qui violent la loi a bien été prévu à travers l'établissement de la Commission des plaintes électorales, mais celui-ci reste obscur pour les électeurs. "Beaucoup des 600 plaintes que nous avons reçues sont plus des allégations que des faits documentés" , affirme Grant Kippen, membre de l'ECC. "En outre, la plupart ne sont pas en rapport avec des violations de la loi électorale mais avec le passé criminel des candidats, et nous n'avons pas de juridiction sur ce point, souligne-t-il. Il y a encore un manque de compréhension du processus, y compris parmi les candidats."
Officiellement lancée le 17 août, la campagne électorale se limite pour beaucoup de candidats à l'affichage de posters, à l'intervention codifiée sur les ondes et à des réunions privées. L'insécurité, qui règne en particulier mais pas seulement dans la "ceinture pachtoune" (peuplée essentiellement de membres de cette ethnie), est un obstacle important.
"L'insécurité empêche la liberté de mouvement des candidats dans de grandes parties du Sud, particulièrement en Uruzgan et Zabul, dans le Sud-Est et dans quelques provinces de l'Est, telle Kunar, et dans l'Ouest" , souligne le rapport de l'ONU et AIHRC. Elle gêne aussi le travail des éducateurs chargés d'expliquer le processus aux électeurs. Mais des districts entiers de la province de Zabul leur sont soit interdits, au risque de perdre la vie, soit limités au chef-lieu et à ses environs immédiats. Trois éducateurs ont déjà été tués dans les provinces de Paktika, Uruzgan et Helmand. Deux candidats et deux de leurs proches ont aussi été tués par des présumés talibans.
Les talibans ont renouvelé leur volonté d'attaquer les agents de l'Etat. "Tou t projet mené par le gouvernement afghan ou les forces américaines est notre cible, ce qui inclut les sites électoraux, les véhicules et les employés , a affirmé leur porte-parole Abdul Latif Hakimi. Le gouvernement Karzaï est une entité administrée par les Américains et même avec le soutien de la communauté internationale il reste inacceptable pour nous." "Pour éviter un grand nombre de victimes civiles, nous ne viserons pas les bureaux électoraux le jour des élections" , a-t-il toutefois indiqué.
Le rapport de l'AIHCR et de l'Unama souligne en effet que "les informations en provenance des provinces montrent une escalade préoccupante des attaques violentes contre les candidats, les employés électoraux et les responsables locaux, particulièrement alarmante et qui constitue le plus grand danger pour les élections" .
Si pour l'instant personne ne doute que les élections auront lieu, elles risquent de n'être pas vraiment représentatives de la volonté de changement des Afghans.

Françoise Chipaux

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