5.9.05

Carla Del Ponte accuse les pays de l'ex-Yougoslavie de préparer les esprits au prochain conflit

LE MONDE | 05.09.05 | 14h04  •  Mis à jour le 05.09.05 | 14h05
LA HAYE correspondance

Pressée par un calendrier serré, la procureure du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY), Carla Del Ponte, a de nouveau appelé l'Union européenne (UE) à maintenir la pression sur la Croatie et la Serbie-Monténégro tant que les trois fugitifs, les chefs politique et militaire serbes de Bosnie-Herzégovine Radovan Karadzic et Ratko Mladic et le général croate Ante Gotovina ne seront pas dans le box de La Haye.
L'ouverture des négociations d'adhésion de la Croatie à l'UE avaient été reportées le 16 mars 2005, suite à un avis négatif de la procureure du TPIY, qui devrait remettre un nouveau rapport mi-septembre. Par ailleurs, l'UE devra décider, le 5 octobre 2005, si elle commence ou non les discussions sur le processus de stabilisation et d'association avec la Serbie-Monténégro.
Les 1er et 2 septembre 2005, les ministres des affaires étrangères de l'UE ont rappelé l'obligation de coopérer avec la juridiction internationale. Mais huit chefs de gouvernement (Autriche, Italie, Grèce, Lituanie, Luxembourg, Malte, Slovaquie) ont adressé un courrier à la présidence britannique de l'UE, demandant l'ouverture immédiate des négociations avec la Croatie, estimant que cette ouverture contribuerait à la stabilité régionale.

LE DILEMME DE L'UE

C'est la thèse défendue par Zagreb. Fin août, la ministre des affaires étrangères de Croatie, Kolinda Grabar-Kitanovic, a affirmé devant le Parlement européen que l'ouverture des négociations encouragerait les pays de la région à accélérer les réformes. Elle apromis que le "plan d'action" initié par Zagreb en mars et destiné à localiser et transférer le général Ante Gotovina au tribunal de La Haye ne serait pas pour autant remis en cause.
Alors que la Croatie tente de court-circuiter la Suissesse, Carla Del Ponte estime "difficile d'imaginer que la Croatie, la Serbie-Monténégro (...) et la Bosnie-Herzégovine rejoignent l'Union européenne" en sachant que chaque nation prépare "idéologiquement le prochain conflit" . Dans un discours prononcé le 1er septembre, elle reconnaissait cependant le dilemme auquel est confrontée l'Union européenne : "Intégrer les Balkans de l'Ouest, avant même qu'un processus de réconciliation véritable soit établi et prendre le risque d'importer les conflits, ou attendre qu'une paix solide soit établie, mais cela pourrait prendre des décennies, et personne ne peut prédire ce qu'il arriverait dans le même temps."

"FORCER LES RÉFORMES"

Le report de l'ouverture des négociations en mars 2005 avait ancré l'opinion publique croate dans le camp des "eurosceptiques". Mais, pour Mme Del Ponte, l'intégration à l'UE ne se fera pas sans risques si les parties aux conflits de l'ex-Yougoslavie continuent de défendre une version officielle de l'histoire et de manipuler la mémoire collective en offrant aux générations futures mythes, légendes et héros. "La tendance naturelle de ceux qui sont au pouvoir - gouvernants, religieux et responsables de l'armée en particulier - est de créer et de construire des mythes" , éléments précurseurs de futurs conflits, accuse-t-elle.
Pour la procureure, l'UE doit maintenir ses positions parce qu'elle a "le pouvoir de forcer les réformes" . Selon elle, l'ouverture de discussions sur le pacte de stabilisation avec la Serbie-Monténégro le 5 octobre 2005 "mettrait gravement en péril la perspective d'une arrestation" de Ratko Mladic et "pourrait en réalité devenir un passeport pour l'impunit é" . Au cours des derniers 18 mois, la coopération du TPIY avec la Croatie et la Serbie-Monténégro s'est, sous la pression de l'UE et des Etats-Unis, considérablement améliorée avec la livraison de nombreux inculpés à La Haye. Un relâchement des pressions ternirait l'espoir de voir un jour s'ouvrir le procès des trois chefs de guerre.

Stéphanie Maupas
Article paru dans l'édition du 06.09.05

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